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en France les économistes, et sans les violences de la révolution française, qui ont jeté les esprits en Angleterre dans l’excès opposé, elle aurait probablement pris plus de faveur chez nos voisins.

L’ordre essentiel et naturel des sociétés, comme disait en même temps chez nous Lemercier de La Rivière, n’avait pas été seulement interverti par la violence des temps barbares ; il avait encore reçu de fortes atteintes, depuis que l’Europe s’était un peu policée, de la faveur accordée par les gouvernemens aux manufactures et au commerce aux dépens de l’agriculture. Smith consacre son quatrième livre presque tout entier à l’examen détaillé de ce système, connu sous le nom de système mercantile. À vrai dire, l’ouvrage entier des Recherches n’a pas d’autre but ; le système mercantile résume en effet toutes les erreurs que venait combattre l’économie politique. La cause du système mercantile étant l’éternelle confusion de l’argent et de la richesse, Smith commence par démontrer qu’une nation peut être pauvre avec beaucoup d’argent et riche avec peu d’argent ; puis il examine les procédés employés pour attirer chez chaque peuple le plus d’argent possible aux dépens de ses voisins, et qui consistaient à diminuer par tous les moyens l’importation des marchandises étrangères pour la consommation extérieure et à favoriser l’exportation au dehors des produits de l’industrie nationale : c’est ce qu’on appelait mettre de son côté la balance du commerce. Acheter peu, vendre beaucoup, et combler la différence en argent, voilà Y idéal que recherchaient les gouvernemens comme les particuliers, et pour y arriver ils avaient recours, à toute sorte de lois et de règlemens qui n’ont pas encore tout à fait disparu de la plupart des législations européennes.

Les argumens de Smith contre cet appareil réglementaire ont été trop souvent reproduits pour qu’il soit nécessaire de les rappeler. Ce sage, ordinairement si calme, perd patience quand il parle des obstacles que rencontrait de son temps la liberté du commerce dans la coalition des intérêts privilégiés. « S’attendre, dit-il, que la liberté de commerce puisse être jamais rendue à la Grande-Bretagne, ce serait une aussi insigne folie que de s’attendre à y voir jamais réaliser la république d’Utopie ou celle d’Oceana. Non-seulement les préjugés du public, mais, ce qui est beaucoup plus impossible à vaincre, un grand nombre d’intérêts privés y opposent un obstacle insurmontable. Il est devenu dangereux d’essayer la plus légère attaque sur le monopole qu’exercent nos manufacturiers. Semblables à une milice toujours sur pied, ils sont devenus redoutables au gouvernement, et dans plusieurs circonstances ils ont effrayé jusqu’à la législation. Un membre du parlement qui appuie les propositions tendant à renforcer le monopole est sûr non-seulement