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dans la même proportion. Avec ce modèle devant les yeux, il était assez naturel de n’en pas parler comme d’un devoir essentiel de l’état. En résumé, Smith se montre très sévère, trop sévère peut-être, en fait de dépenses publiques ; mais l’excès contraire a tant d’attrait, qu’on ne saurait trop l’en blâmer. « Il ne faut point, avait dit avant lui Montesquieu, prendre au peuple sur ses besoins réels pour des besoins de l’état imaginaires. Ces besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les faiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d’un projet extraordinaire ; l’envie malade d’une vaine gloire, et une certaine impuissance d’esprit contre les fantaisies. »

Ce qui touche aux revenus publics soulève moins de controverses. Smith y trace de main de maître les conditions qui peuvent rendre l’impôt plus juste, plus égal, plus facile à percevoir. Quand on songe à ce qu’était alors partout la constitution des impôts, établis et perçus au hasard, on s’étonne de ce qu’il a fallu de réflexion et de perspicacité pour créer de toutes pièces, une nouvelle théorie. À la lumière de ce flambeau, Smith passe en revue les contributions existantes, soit en Angleterre, soit dans le reste de l’Europe, sans en excepter les douanes, car s’il les condamne comme moyen de gêner la liberté du travail, il les accepte comme ressource fiscale. Cette partie de son livre a vieilli par son succès même, puisque l’assiette des impôts a été généralement remaniée d’après ses principes. Il parle des finances de tous les états en financier consommé. Sa critique s’exerce particulièrement sur le mode de taxation alors connu en France sous le nom de taille personnelle, et dont il analyse parfaitement les inconvéniens. La plupart de ses indications, mises en pratique, ont augmenté partout les revenus publics, tout en diminuant, du moins en apparence, les charges des contribuables. Tel est, par exemple, le système des adoucissemens successifs d’impôt sur les objets de consommation, qui réussit de nos jours si bien en Angleterre. Nul doute qu’il n’y ait encore beaucoup à tirer de cette mine, dont on a pourtant beaucoup tiré ; mais on ne sait vraiment si on doit le désirer. Avec cet art habile de l’impôt, on est parvenu à faire payer à la France et à l’Angleterre des budgets de 1,800 millions, et bientôt sans doute de 2 milliards. Il devient de plus en plus difficile d’administrer utilement de si gros revenus, même pour les gouvernemens les plus soumis au contrôle vigilant de la liberté politique. Qu’en dirait Smith, lui qui trouvait déjà lourd de son temps un budget de 250 millions ?

Ces observations s’appliquent surtout aux dettes publiques. Le fondateur de l’économie politique se montre fort peu partisan du système tant vanté du crédit public, qui se résout toujours à ses yeux