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par un appauvrissement. Un écrivain nommé Pinto ayant avancé, dans un Traité de la circulation et du crédit, que les fonds publics de l’Angleterre formaient un nouveau capital à ajouter à ses autres capitaux ; Adam Smith le réfute vivement. « Cet auteur, dit-il, ne fait pas attention que le capital avancé au gouvernement par les créanciers de l’état était une portion du produit annuel qui a été détournée de faire fonction de capital pour passer dans le revenu, ou en d’autres termes qui a été enlevée au travail productif pour être dissipée improductivement. À la vérité, les créanciers ont obtenu, en retour du capital par eux avancé, une annuité sur les fonds publics qui en représente au moins la valeur. Cette annuité leur fournit les moyens d’obtenir des tiers, par vente ou par emprunt, un nouveau capital égal ou supérieur à celui qu’ils ont avancé au gouvernement ; mais ce nouveau capital, il fallait bien qu’il existât auparavant dans le pays, et qu’il y fût employé, comme tous les capitaux, à entretenir du travail productif. Quand ce capital est venu à passer entre les mains de ceux qui avaient avancé le leur au gouvernement, il pouvait être nouveau pour eux, mais il ne l’était pas pour le pays. Si l’emprunt n’avait pas eu lieu, il y aurait eu dans le pays deux capitaux au lieu d’un. »

Cette réponse n’est complètement juste qu’autant que le montant de l’emprunt a été réellement consacré à des dépenses improductives, ce qui n’arrive pas de toute nécessité ; mais il n’y a que bien peu d’exemples qu’un emprunt ait été employé en dépenses utiles’ ou nécessaires, comme une guerre défensive ou des travaux publics. Souvent même les gouvernemens empruntent pour des guerres inutiles ou pour des gaspillages fastueux ; dans ce cas, l’observation est vraie à la lettre, il y a destruction et non formation de capital. Et d’ailleurs, quand l’emprunt sert à des dépenses utiles, c’est encore une question de savoir si le capital emprunté n’aurait pas fructifié davantage entre les mains de l’intérêt privé, et si, érigé en capital public, il n’a pas empêché la formation d’un plus grand nombre de capitaux particuliers. En fait, on peut affirmer que les neuf dixièmes au moins des dettes publiques ont eu pour origine des destructions de capital, et l’opinion de Pinto, que Mac-Culloch qualifie avec raison d’extravagant paradoxe, ne trouverait pas aujourd’hui un seul partisan un peu éclairé. Ce qui trompe les yeux superficiels, c’est cette masse de titres qu’on appelle des capitaux, et qui en font l’office dans les échanges, mais qui ne sont en réalité que des hypothèques sur l’ensemble des propriétés nationales, et qui en diminuent d’autant la valeur.

Quant à cette autre erreur plus répandue que, dans le paiement de la dette publique, c’est la main droite qui paie à la main gauche,