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commencent les barrières et les hypothèses. Des consuls, il est vrai, résidant à Tanger ont jeté leurs regards sur la nature et la société qu’ils découvraient de leurs jardins ou dans leurs chasses ; des ambassadeurs ont pris au vol, à travers une haie de cavaliers méfians, quelques traits du paysage et des mœurs ; des commerçans ont franchi à la hâte, avec la permission des pachas, la distance qui sépare quelques villes maritimes ; des prisonniers échappés aux présides espagnoles ou de téméraires voyageurs ont furtivement recueilli certaines notions économiques ; des médecins à qui la peur de la mort avait ouvert les palais impériaux, des pères de la Merci voués au rachat des esclaves, ont hasardé quelques observations étrangères à leur mission : avec toutes ces données incohérentes et incomplètes, les géographes n’ont pu dresser qu’un tableau bien vague de l’intérieur de l’empire, et les plus savans confessent à ce sujet leur ignorance. Mystère bien étrange à une époque où le péril ni la distance ne protègent nul coin du globe contre l’ardeur des découvertes ! Tel est néanmoins le trait le plus saillant et le plus caractéristique de la physionomie du Maroc.

Ainsi l’a voulu le méfiant et égoïste sultan qui a régné quarante ans dans le Maghreb, et qui est mort il y a quelques mois. Ainsi l’avaient voulu ses prédécesseurs depuis trois siècles, en souvenir du mal qu’avaient fait à leurs pères les chrétiens d’Espagne. Pour se soustraire à l’invasion des idées, ils ont interdit l’accès des personnes ; nul n’a pu pénétrer dans l’intérieur qu’avec leur permission expresse, et ils ne l’ont accordée que rarement et à bon escient. Quiconque s’aventurait dans le Maroc sans escorte officielle jouait sa tête. On remonterait jusqu’au dictateur Francia au Paraguay, on irait jusqu’en Chine pour trouver un régime pareil ; encore la comparaison est-elle tout à l’avantage du royaume du Milieu sur le royaume d’Occident. La Chine est à l’extrémité de l’Asie, le Maroc est à nos portes. La Chine jouit d’une civilisation, très différente de la nôtre sans doute, mais qui paraît répondre au caractère de la nation et se justifier par un système régulier d’administration ; le Maroc ignore toute régularité administrative et toute production sérieuse. La Chine livre elle-même en aliment à la science européenne ses bibliothèques et ses gazettes ; le Maroc n’a jamais fourni sur son compte ni un chiffre ni une note, il n’a jamais publié un livre ni admis une presse. On peut donc s’étonner que l’Europe tienne tant à honneur de pénétrer jusqu’à Pékin, et se résigne à n’approcher ni de Fez ni de Maroc !

Si l’on cherche plus près un autre point de comparaison, l’on constate qu’entre les divers états qualifiés de barbaresques qui occupent le plateau atlantique, entouré comme une île d’une ceinture