Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni le droit ni le pouvoir de consolider de cette façon les résultats de la campagne, beaucoup de sang aura été versé, beaucoup de gloire recueillie dans les bulletins ; mais l’espoir de l’Europe aura été, déçu, et contre la piraterie, prochainement renaissante, quelque autre nation devra prendre, avec des plans plus décisifs, la cause des marines civilisées. L’Espagne ne détournerait cette éventualité qu’en fondant à Ceuta et à Mélilla des établissemens maritimes capables de faire d’une manière efficace la police du littoral, et en les reliant par des stations télégraphiques convenablement défendues, qui étendraient la communication sous-marine que l’on organise en ce moment à travers le détroit.

Si la prise de Tétuan ne suffit pas à vaincre la résistance de l’empereur, il faudra ouvrir les attaques par mer contre des villes qui mènent plus droit à l’une des capitales. Il est fâcheux que la mauvaise saison rende dangereux l’accès des côtes nord et ouest du Maroc, ce qui constitue contre les assaillans la première et la plus grave des mauvaises chances. Nos annales, aussi bien que celles de l’Espagne, contiennent sur l’inconvénient des campagnes d’hiver de nombreux et lugubres enseignemens, trop vite oubliés.

Tanger s’offre au premier abord. Les ménagemens quelquefois invoqués en sa faveur comme résidence des consuls et centre des intérêts européens ne prévaudront pas contre les plans d’une puissance belligérante qui doit viser à s’emparer des positions les plus avantageuses : aussi les habitans de la ville et les auxiliaires kabyles venus du dehors préparent-ils une défense désespérée avec les formidables batteries de canons dont les murs sont armés. L’importance de la place justifie cette prévoyance. Tanger est le centre des relations politiques avec l’Europe ; elle est à trois heures des rives espagnoles, à portée de Tarifa, Cadix, Algésiras, où sont accumulées des réserves de tout genre. Dans la direction de Tanger à Fez, la chaîne de l’Atlas et celle du Rif se rejoignent par des ramifications qui coupent en deux la grande plaine centrale du Tell. Au point d’intersection se trouve la ville d’Ouazzan, nœud stratégique qui tire sa force autant de sa position que du choix qu’en a fait pour sa résidence le chef de la confrérie de Mouley-Taïeb. De ce point, on commande tout le nord de l’empire, de Larache jusqu’à Oudjda, de Tanger jusqu’à Fez : la ligne de Tanger, Ouazzan, Fez et Méquinez est donc la ligne gouvernementale et militaire que doit prendre tout conquérant qui veut pénétrer à l’intérieur, quoique l’accès d’Ouazzan soit plus difficile du côté de Tanger que parle littoral de l’Océan.

Entre Tanger et Rabat, Larache, sorte de port militaire en décadence, Méhédia, jadis occupé et fortifié par les Portugais, seraient de bonnes bases d’opérations, si Rabat n’offrait les mêmes facilités