Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/959

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une plus grande proximité de Fez et de Méquinez. Rabat et Salé, deux villes que l’on peut appeler jumelles, car elles ne sont séparées que par la rivière de Bouragrag, découvrent ces deux capitales, et en outre assurent ou rompent à leur gré l’unité de l’empire par leur situation dans un étranglement de sol qui est la communication obligée entre le nord, et le sud. Sur ce point, le contre-fort qui de l’Atlas descend jusqu’au voisinage de la mer, les nombreuses rivières qui suivent la même pente du sol, ne laissent de voie de communication facile que par l’emplacement des deux villes. Indépendantes, elles ferment leurs portes, et empêchent la circulation entre les royaumes de Fez et de Maroc. Tel fut le secret de leur puissance dans le long antagonisme des peuples et des dynasties qui remplit l’histoire du Maghreb ; la république de Salé devint même un nid de corsaires jadis très redoutés des chrétiens, et dont les fils sont de nos jours encore fort insolens. Pénétré des avantages de cette position, le prince Almohade Yacoub Almansor, qui fut au XIIe siècle le Charlemagne du Maghreb, avait voulu faire de Rabat-Salé la capitale de ses états. Les coups qu’on frappera de ce côté retentiront au cœur de l’empire, car l’ennemi ne sera qu’à quelques journées de Méquinez, la cité du trésor impérial, de Fez, la ville sainte et savante qui réclama toujours le privilège d’ouvrir ses portes à tout assaillant, sans être tenue à l’honneur périlleux d’une défense.

Reste enfin Mogador, qui, à titre de port commercial de la ville de Maroc, la capitale du sud, joue aussi un grand rôle, révélé par la prompte soumission de l’empereur Abd-er-Rahman après le brillant fait d’armes qui illustra, il y a quinze ans, une escadre française et le prince qui la commandait. Si l’on estime que, pour réduire l’ennemi, il suffit de l’atteindre dans ses intérêts commerciaux, nulle autre part la blessure ne serait plus sensible ; mais pour une occupation prolongée et une conquête, même partielle et temporaire, Rabat et Salé jouent un rôle plus décisif.

Si le sultan s’obstine, une expédition à l’intérieur devient nécessaire, et la pensée se reporte naturellement à la conquête de l’Algérie par les Français : rapprochement fondé quant aux difficultés, et qui invite l’Espagne à une grande prudence. Pour s’emparer de la Régence, les Français ont dû combattre pendant près de vingt ans un ennemi insaisissable : à certains momens, l’armée a réuni plus de cent mille hommes ; plus d’un milliard y a été englouti. Pour la conquête du Maroc, certes les sacrifices s’accroîtraient avec une résistance plus grande. Les indigènes de l’Algérie étaient au plus trois millions avant la guerre et les émigrations, qui en ont un peu réduit le nombre ; au Maroc, ils sont six millions au moins, et même huit ou neuf d’après la plupart des géographes. Le