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ils ont toujours reculé devant les rigueurs de la douane française et l’incertitude de la protection qui serait accordée à leurs entreprises.

Dans une carrière pacifique et fructueuse d’échanges, l’Europe recueillerait, croyons-nous, des triomphes plus satisfaisans et plus profitables que dans une guerre de conquête et d’extermination contre l’empire du Maroc. Par ces voies, la barbarie s’élèverait plus vite et plus sûrement à la civilisation. Les succès considérables obtenus par la diplomatie anglaise, quoiqu’au seul profit d’un peuple, prouvent que les barbares eux-mêmes ne résistent pas indéfiniment aux lumières supérieures, aux conseils bien motivés, à leur propre intérêt, bien expliqué et bien compris. L’état de Tunis n’était pas moins arriéré il y a quelques années, et déjà, sur l’instigation de la France, il se transforme sensiblement. Le Maroc ne sera pas plus réfractaire, son histoire autorise à l’espérer. Sous les glorieuses dynasties des Almoravides, des Almohades, des Mérinides, les princes chrétiens et les républiques de l’Italie étaient liés par des traités d’amitié et de commerce avec les maîtres du Maghreb, dont la cour et les villes étaient ouvertes à leurs marchands et à leurs envoyés. Auprès de ces monarques, des chevaliers chrétiens, fuyant les discordes civiles, trouvaient un asile honorable. L’orthodoxe Raguse employait ses navires à transporter les pèlerins à Alexandrie, comme fait aujourd’hui la protestante Angleterre. Fez était renommé pour ses écoles, ses bibliothèques, pour l’aménité de ses mœurs, reflet de l’Andalousie. Les papes eux-mêmes correspondaient, amicalement avec les khalifes de l’Occident, et nommaient librement des évêques pour diriger les groupes chrétiens répandus dans l’intérieur de l’empire. Fez, Méquinez, Maroc, possédaient des couvens et des églises, où des religieux célébraient le culte portes ouvertes. Même par un trait de mœurs que de nos jours encore désavoue la civilisation, on l’a vu au congrès de Paris en 1856, le commerce particulier se continua en un certain moment sans trouble entre les sujets des états chrétiens et musulmans qui étaient en guerre. L’histoire atteste donc, par une multitude d’exemples, que, pendant et après l’héroïque duel des croisades, l’islamisme et le christianisme vivaient en paix en divers lieux, et particulièrement dans l’Afrique du nord. La brutale expulsion des Maures d’Espagne, l’avènement de la dynastie religieuse des chérifs et la piraterie barbaresque rompirent les alliances, et l’on inclina depuis lors vers l’idée d’une incompatibilité radicale entre les croyans comme entre les dogmes des deux religions : sentiment entretenu de nos jours par la décadence anarchique de la Turquie, que l’on voit promettre des réformes, les tenter mollement et ne pas les accomplir.

Le spectacle de l’Algérie, où chrétiens et musulmans vivent en