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dre, sans vouloir anticiper par aucune conjecture sur les difficultés de sa tâche. Ce soulagement, ce repos, cette quiétude que nous apportent la certitude de la réunion prochaine du congrès et l’amélioration de nos relations avec l’Angleterre, sont des biens que l’on tient à posséder et à savourer à loisir, et que l’on ne veut pas laisser entamer, dans le court intervalle qui nous sépare du concile diplomatique, par des prévisions importunes. Ce sentiment d’absorption et de concentration confiante dans le présent est si général qu’il nous semble que les gouvernemens doivent avoir grande peine à s’y dérober eux-mêmes. Nous ne sommes point dans leurs secrets, mais nous ne serions pas surpris si, cédant un instant à la lassitude après une année si remplie et à l’appréhension des tracas de l’avenir, ils hésitaient à se sonder mutuellement, ils évitaient de soulever, par une négociation préparatoire, les questions qui pourraient les diviser, ils ajournaient à l’époque du congrès les inévitables controverses. À eux aussi cette halte doit être douce. Par un accord tacite et général, une vraie trêve de Dieu s’est donc faite sur les affaires d’Italie : respectons-la, et gardons-nous d’agiter ayant l’heure du congrès aucune question italienne.

Nous profiterons de ce court répit pour réfléchir sur l’esprit qui doit animer l’opinion libérale dans la nouvelle série de discussions et d’événemens où vont entrer les affaires d’Italie. L’influence de l’opinion sur les délibérations diplomatiques qui vont s’ouvrir sera grande, il faut s’y attendre et s’y préparer. Il n’y a que deux sanctions possibles aux décisions d’un congrès, la force matérielle ou la force morale, l’action militaire ou l’opinion. L’action militaire paraît devoir être écartée en principe : sur ce point, les déclarations publiques de l’empereur sont d’accord avec les principes, affichés par le ministère anglais. L’autorité du congrès ne pourra donc s’exercer que par la force morale, c’est-à-dire que les arrêts du congrès n’auront de puissance que celle qui leur sera prêtée par l’opinion, que le congrès, s’il veut obtenir quelque efficacité pour son œuvre, devra écouter attentivement les inspirations de l’opinion, que l’opinion en un mot sera la vraie souveraine. La situation parlementaire de l’Angleterre, celle même de l’Italie, si le gouvernement piémontais a le bon esprit de convoquer promptement ses chambres, donneront une forme pratique à l’intervention de l’opinion. Le ministère anglais a une si petite majorité dans la chambre des communes, qu’il sera obligé de compter à tout instant avec cette chambre. Dans l’état d’excitation où est l’Angleterre, la chambre des communes, reflétant le sentiment public, sera vigilante et exigeante. Le ministère anglais a bien compris cette situation, lorsqu’il s’est décidé à n’envoyer au congrès aucun de ses membres, ni lord Palmerston ni lord John Russell. Les représentans de l’Angleterre, lord Cowley et lord Wodehouse, diplomates distingués, mais qui ne sauraient avoir l’initiative qui aurait appartenu au chef ou à un membre influent du cabinet, seront toujours étroitement liés à la lettre de leurs instructions. Le ministère lui-même sera tenu de court par la chambre des communes, laquelle sera surveillée, poussée ou contenue par l’esprit public. Ce sera une situation neuve que celle de ce congrès délibérant sur la renaissance d’un peuple à l’indépendance et à la liberté en présence et sous le contrôle d’un parlement qui, depuis les réactions continentales, est en quelque sorte devenu le parlement du monde. Nous