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croyons que la diplomatie, à laquelle les traditions sont chères, serait fort embarrassée pour trouver des précédens qui s’y pussent rapporter. Le congrès de Paris ne ressemblera pas à ces congrès qui suivirent les événemens de 1815, aux congrès de Laybach et de Vérone, véritables conspirations du despotisme contre les droits populaires, où se complotait mystérieusement entre gouvernemens absolutistes la destruction à main armée, et encore par l’intervention étrangère, des constitutions qu’avaient voulu se donner les nations méridionales. Le congrès de Paris, renonçant à l’emploi de la force, n’a devant lui que deux issues : ou il entrera en compromis avec l’opinion libérale de l’Europe, ou, s’il refuse de tenir compte de cette opinion, il se condamnera à une impuissance avérée.

Dans de telles circonstances, il faut que partout en Europe l’opinion libérale comprenne et l’importance du rôle qu’elle est appelée à jouer, et les devoirs que ce rôle lui impose. Les hommes qui sont dévoués à la cause libérale doivent en ce moment redoubler de fermeté, d’ardeur et de confiance. Ces hommes sont encore dans notre pays plus nombreux qu’on n’a l’air de le croire, plus nombreux qu’ils ne semblent le penser eux-mêmes. Il serait temps qu’ils songeassent à définir nettement leur situation et leur mission. Avant tout, qu’ils sachent bien et qu’ils apprennent à ceux qui seraient tentés de les considérer comme des adversaires qu’ils ne constituent point un parti, et un parti d’opposition, dans le sens que nous attachions à ce mot sous le régime parlementaire. Ils représentent des principes, des doctrines ; ils forment, si l’on veut, une école : ils ne sont point un parti ; ils ne sont pas davantage une opposition. Un parti n’est pas seulement déterminé par des idées, il est lié par des intérêts et par des questions personnelles : les intérêts peuvent être élevés et les questions personnelles respectables, ce n’en sont pas moins des entraves qui donnent à un parti organisé je ne sais quel caractère égoïste et exclusif. Une opposition est un parti qui lutte contre un autre parti investi du gouvernement, et aspire à le remplacer au pouvoir. Nos institutions actuelles, on nous dispensera de le démontrer, ne se prêtent point à ces organisations de partis et d’opposition. Qu’on puisse le regretter à plusieurs égards, c’est une discussion qui nous est peut-être interdite, et dans laquelle d’ailleurs nous ne voulons pas entrer. Que l’organisation des partis et d’une opposition politique présente des avantages publics et particuliers, c’est un point sur lequel nous ne voulons pas nous prononcer. Il nous suffit, pour le moment, de constater que ces avantages sont compensés par des inconvéniens, et que, par le fait même qui nous prive des uns, nous sommes affranchis des autres. Nous n’avons pas les tentations et les soucis de l’ambition personnelle, nous n’avons point à nous préoccuper des questions de personnes et à nous inspirer des animosités qu’elles engendrent ; nous ne sommes pas voués, par la nécessité d’une situation, à la critique systématique des actes du pouvoir. Rien de ce qui a dans la vie politique un caractère étroit, exclusif, intéressé, ne nous est plus imputable. Nous n’avons plus à nous attacher qu’aux principes qui sont l’âme même de notre cause, qui ont été l’inspiration la plus généreuse du XVIIIe siècle, et qui sont le plus glorieux héritage que notre révolution nous ait légué. En les défendant, nous perpétuons une des plus vitales traditions françaises, et nous gardons à l’avenir un dépôt fécond. Ce sont les intérêts mêmes de