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en octobre 1858, entrée dans une de ces défaillances d’ennui, maladie périodique chez elle, et dont elle sort habituellement par des traitemens brusques qui lui coûtent fort cher. Le déclin des affaires commerciales, le dégoût et l’absence des discussions politiques, tout contribuait également à suspendre toute espèce d’animation. Je m’embarquais donc la tristesse dans l’âme, et bien que laissant l’ennui derrière moi, je pensais qu’il saurait prendre les devans pour m’attendre au port.

Merveilleuse puissance du ciel du midi ! Lorsque, le 25 octobre au matin, après une traversée monotone et pluvieuse, les premiers rayons d’un soleil ardent vinrent se réfléchir sous mes yeux contre les crêtes blanches de la ville mauresque, je sentis tout renaître en moi, la curiosité comme le courage. Le paquebot des Messageries impériales nous débarquait sur le quai, au pied d’un rocher à pic, contre-fort naturel surmonté par les voûtes de maçonnerie qui soutiennent la place du gouvernement. On ne demeure guère à Alger que sur cette place ou aux environs. Pour nous rendre à l’endroit où nous devions loger, nous avions le choix ou de faire un immense détour, afin de trouver une rampe douce le long des bâtimens de la douane et de la marine, ou d’enlever en quelque sorte la position d’assaut en grimpant une sorte d’escalier assez raide formé de gradins fort délabrés. Il n’était que cinq heures du matin ; mais comme il n’y avait en l’air ni un nuage, ni une brise, la chaleur était déjà suffocante. Nous prîmes pourtant gaiement le dernier parti, tant l’on éprouve de plaisir et l’on se sent de force à marcher en quittant cet élément perfide où la marche est si difficile. Nous gravîmes donc la montée de la Pêcherie, fort bien appelée de ce nom, car ce n’est, au fond, que le grand marché au poisson de la ville. À chaque pas, nous étions arrêtés par les établis des commerçans en plein air qui ont choisi ce poste pour y camper avec leur magasin ambulant. C’étaient presque tous des émigrés de ces bienheureuses populations de l’Europe méridionale, à qui le bruit est nécessaire pour vivre. La longue cape de laine rouge et le petit chapeau de velours à pompon noir permettaient bien de distinguer le marinier d’Amalfi de celui de Majorque ou de Valence ; mais nul n’aurait pu dire si les sons rauques et confus dont ils assourdissaient nos oreilles avaient la prétention d’appartenir à l’Italie ou à l’Espagne. Fort peu émues de tout ce bourdonnement, quelques vieilles négresses, coiffées d’un lambeau d’étoffe à couleurs très voyantes, dormaient à côté d’un petit panier de fruits ou de légumes qu’elles semblaient avoir placé là pour l’acquit de leur conscience et sans aucun souci d’en tirer le moindre profit. Des Arabes enveloppés de leur burnous descendaient de la ville à pas comptés, ou s’accroupissaient le long de