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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/11

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quelques pans de murs avec une gravité affectée, comme s’ils eussent voulu montrer combien ce tumulte européen leur paraissait de mauvais goût. À mesure que nous approchions du sommet, deux monumens de nature très différente s’offraient plus nettement à nos regards : à gauche (sur la place du Gouvernement), la statue de M. le duc d’Orléans, de Marochetti, dans ce correct uniforme d’officier-général et dans cette pose académique que chacun connaît ; à droite, le minaret de la mosquée hanéfite, agréable échantillon d’architecture mauresque faisant scintiller au soleil l’éclatante blancheur de ses pierres granulées.

Il y avait sans doute dans ce bizarre mélange matière à regarder et à réfléchir. Qu’on rie cependant, si l’on veut, de ce que peut produire une préoccupation habituelle et obstinée. Parmi tant d’objets confus et nouveaux qui éblouissaient et surprenaient mes regards, j’eus encore la présence d’esprit nécessaire pour discerner une petite affiche collée sur un pilier, et portant l’annonce d’une publication nouvelle, le Gouvernement de l’Algérie, ce qu’il est, ce qu’il doit être. Ce titre me surprit, et plus que toute chose, plus encore que le costume des passans ou l’architecture des maisons, m’avertit que je n’étais plus en France. En France en effet (au moins depuis que l’ordre est rétabli dans les esprits), en matière de gouvernement ce qui est doit être, et ce qui doit être est. C’est chose entendue : personne ne se permettrait, sinon de penser, au moins de dire le contraire, et la presse surtout, dûment avertie (ne voyez ici, je vous prie, aucun jeu de mots), ne se permet pas de contester cette maxime. Vous figurez-vous quel effet produirait sur les murailles de Paris cette affiche : le Gouvernement de la France, ce qu’il est et ce qu’il doit être ! Ou le scandale des passans, ou quelque autre moyen aussi expéditif aurait vite fait disparaître un prospectus si malencontreux,

J’étais donc averti par là même que j’allais trouver en Algérie une latitude de discussion que je n’avais pas laissée sur l’autre bord de la Méditerranée. Tout ce que je vis et entendis pendant les jours suivans me confirma dans cette pensée. Conversation, publications, tout me parut porter le caractère d’une vivacité et d’une hardiesse auxquelles je n’étais plus accoutumé. J’entendais discuter tout haut dans les rues les actes de l’administration de la colonie, en appelant les choses par le nom qu’elles portent dans le vocabulaire et les hommes par celui qu’ils ont reçu au baptême. Chaque matin, deux journaux, représentant la résistance et le mouvement, la conservation et l’opposition, établissaient sur les intérêts algériens un débat en règle, qui ne semblait contenu par aucune limite, même pas toujours par celles de la politesse. Il y eut même un instant, Dieu me pardonne, une petite assemblée dont les séances