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faire sur toute la ligne, et tandis que le plus grand nombre s’avance d’un pas assuré vers un état de choses meilleur, quelques-uns rétrogradent et trouvent dans les conditions nouvelles une cause d’abrutissement. L’ivrognerie, l’abus de l’opium et des narcotiques tendent à s’accroître en différens pays, en Suède notamment pour le premier de ces vices, dans la Chine pour le second. Le grand problème du paupérisme est intimement lié d’ailleurs à la question de la dégénérescence ; les statistiques publiées en Angleterre prouvent que la misère est l’une des sources principales de l’aliénation mentale, et que là où elle diminue, cette maladie se présente moins fréquemment. L’hygiène elle-même, que l’on observe plus volontiers chez les classes éclairées, souffre encore à beaucoup d’égards du système des manufactures. Il suffit de se rendre dans nos premières cités industrielles pour se convaincre que l’agglomération des individus soumis à des occupations sédentaires exerce sur leur constitution physique et morale les plus fâcheux effets. La population ouvrière de Lyon, de Lille, de Saint-Étienne, comme celle de Manchester et de Birmingham, présente un cachet d’abâtardissement qui n’échappe pas à l’observateur le plus superficiel. L’homme vit là comme dans une serre chaude, mais une serre dont l’air est malsain et l’aménagement vicieux. M. I. Geoffroy Saint-Hilaire a remarqué que les œufs couvés artificiellement donnent fréquemment naissance à des poussins mal conformés ; dans la vie industrielle, l’intérêt du manufacturier qui veut accélérer la production fait couver en quelque sorte artificiellement l’humaine activité : de là des monstruosités morales et physiques plus fréquentes. Et puis cette vie des manufactures traîne à sa suite une foule de vices et de désordres qui deviennent une cause encore plus funeste de dégradation. Un des effets de notre civilisation, c’est le développement excessif de certaines facultés. Pour être salutaire, l’exercice des organes a besoin d’être harmonique et pondéré. S’exagère-t-elle, l’activité passe à la surexcitation, et cette surexcitation fait rentrer par la voie des causes morales les maladies qu’on avait chassées par celle des causes physiques. Le propre de l’excitation nerveuse, c’est de faire chercher à celui qui en est atteint des moyens nouveaux de l’entretenir et de l’accroître. On court après les émotions, et l’on ne trouve de plaisir que dans ce qui accroît l’incendie intérieur qui nous consume. Si la misère est évitée, et avec elle tout le triste cortège de maux qu’elle entraîne, les excès et la recherche démesurée des richesses ramènent sous une autre forme les maux dont on se croyait à l’abri. Les médecins dont j’ai parlé dans cette étude ont constaté le danger de cette vie surmenée qui rompt l’équilibre des fonctions et produit la faiblesse par l’exagération même du travail.