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On discute beaucoup dans le monde médical sur la question de savoir si la folie tend ou non à devenir plus fréquente. La divergence d’opinions tient à ce qu’on se place tour à tour à des points de vue divers. Les formes de l’aliénation mentale changent avec l’état social et dépendent des idées qui préoccupent les esprits ; les dégénérescences se produisent dans une direction déterminée par la nature du vice dont la société est infectée. Les organisations faibles, pour employer une expression médicale, se trouvent toujours dans une sorte de diathèse qui les fait succomber dès qu’elles ont à souffrir d’une perturbation physique ou morale, et la forme du dérangement de l’esprit ou du trouble de l’économie reflète la nature de cette perturbation. Ce qui est ici l’effet de la misère, des mauvaises conditions de l’alimentation, de l’exaltation des croyances religieuses, est déterminé ailleurs par les anxiétés et les chagrins domestiques, les revers de fortune, les agitations politiques, l’ambition déçue et la trop constante application à un projet ou à une idée. Ainsi peu importe le genre de trouble qui de l’intelligence réagit sur l’économie, ou de l’économie sur l’intelligence ; la propension à la maladie, voilà la véritable cause des dégénérescences du corps et de l’esprit, et cette propension, cette aptitude, elle est le produit composé d’influences continues, dues aux diverses causes ci-dessus examinées et transmises par la génération. Pour la combattre, il faut sans cesse réagir contre ces mêmes causes et choisir pour chaque individu un genre de vie et d’habitation qui en neutralise les effets. À ces conditions, des organisations nées faibles ou qu’ont épuisées de longs écarts du régime physique et moral commandé par leur constitution particulière se fortifient et remontent les degrés d’une échelle d’où une commotion subite, des perturbations continues les précipiteraient infailliblement. C’est dans ce développement harmonique que réside la vraie civilisation, et tant que nos efforts n’aboutiront pas à régler sur tous les points les mouvemens sociaux et à équilibrer pour chaque individu le jeu des fonctions et des facultés, on perdra souvent d’un côté le terrain qu’on aura gagné de l’autre.

Il ne faudrait pas s’exagérer le danger que font courir à l’humanité certains écarts qui se sont jusqu’à présent montrés inséparables du progrès. La société a en elle, comme la constitution des individus, un instinct de conservation qui l’amène à son insu à rétablir l’équilibre menacé ; les remèdes à la dégénérescence se présentent d’eux-mêmes, et le sentiment du mal dont nous souffrons nous suggère des moyens de le combattre, sans avoir d’abord conscience de l’efficacité de nos expédiens. « Ce qu’il y a de plus remarquable dans les lois qui gouvernent toutes choses, écrit Cabanis, c’est qu’étant susceptibles d’altération, elles ne le sont pourtant que jusqu’à un