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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/1016

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jectures auxquelles sur beaucoup de points notre ignorance demeure condamnée, parlons de ce qui nous est connu, parlons du traité de commerce et du magnifique discours dans lequel M. Gladstone vient de tracer devant la chambre des communes l’exposé des finances anglaises et le plan de son budget.

Il était impossible de faire à la France les honneurs du traité de commerce que l’Angleterre a conclu avec nous par un chef-d’œuvre oratoire plus splendide que celui que vient d’accomplir M. Gladstone. Qu’on nous pardonne si nous nous abandonnons naïvement à la joie sereine qu’inspire une si savante, une si puissante et si aimable éloquence à tous ceux à qui répugne l’invasion de la barbarie dans la politique, à tous ceux qui rêvent de voir consacrer au gouvernement des sociétés civilisées les efforts les plus vigoureux de l’intelligence, les plus glorieuses prouesses du talent, les perfections les plus exquises de l’art. Voilà un simple citoyen qui vient expliquer à son pays — quoi ? ce que d’autres appelleraient ses intérêts les plus infimes, ses affaires de ménage, sa situation financière, son budget. Ce citoyen va faire plus encore : il est ministre des finances ; ses collègues, son parti, ses compatriotes, sa gracieuse souveraine, lui ont donné et lui reconnaissent le pouvoir d’arrêter le devis des dépenses de l’empire, et de soumettre à ses expérimentations les revenus publics. Il est le premier juge des efforts financiers que prescrivent à son pays l’intérêt de sa sûreté et le soin de sa grandeur ; il est le premier arbitre des impôts ; il remanie les taxes, il supprime les unes, il réduit les autres, il en crée de nouvelles. Il vient rendre compte de ce double travail et justifier les dispositions qu’il a prises. Dans cette œuvre, il rencontre les plus grands et les plus humbles intérêts : ceux du pays et ceux des particuliers, ceux des propriétaires et ceux des travailleurs, ceux des riches et ceux des pauvres, ceux des nations étrangères auxquelles il a préparé, par ses combinaisons ingénieuses et hardies, des avantages de consommation ou des débouchés de produits. Il prend l’un après l’autre ces intérêts à témoin des profits qu’il leur a ménagés, ou, avec une sollicitude éclairée et par une argumentation persuasive, il gagne leur consentement aux sacrifices qu’il leur demande. Qu’il soit parvenu à établir une balance équitable entre le devis qu’il a arrêté pour les dépenses publiques et l’estimation des recettes probables préparées par ses combinaisons, et ce premier succès sera le gage de l’adhésion générale qu’obtiendront ses plans. Cet homme, du reste, quel est-il ? Dans une nation de commerçans, d’industriels, de banquiers, chez un peuple qu’un génie attardé dans la guerre a si ridiculement appelé un peuple de boutiquiers, est-ce un praticien sorti de la poussière des comptoirs et grandi par le négoce ? Non, c’est un lauréat d’université, que les études littéraires ont façonné à la politique, un pur lettré qui hier encore, dans les vacances que lui donnait un éloignement momentané du pouvoir, commentait Homère avec passion ; c’est un esprit profondément cultivé, qui, à l’école de sir Robert Peel, s’est ouvert à tous les grands intérêts de son pays, aussi habile et aussi prompt à en expliquer les complexités qu’à les discerner et à les embrasser lui-même. Se présente-t-il avec ce pédantisme, cette morgue, cette intolérance oppressive que les peuples despotiquement gouvernés ont tant de peine à séparer de l’idée qu’ils se font d’un ministre ? Non, c’est un gentle-