Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/1018

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si M. Gladstone n’eût pas eu à s’occuper des élémens nouveaux de perturbation qu’apportait dans ses comptes le récent traité de commerce avec la France, il eût pu couvrir le déficit de deux façons : il aurait pu demander à la chambre des communes de maintenir encore pour l’année la surtaxe du sucre et du thé, et une taxe sur le revenu de 9 pence par livre, soit de 3 3/4 pour 100. C’eût été là, dans les idées anglaises, un triste budget, un budget stationnaire, sans innovation, sans progrès, sans adoucissement pour la masse des consommateurs, sans stimulant pour l’industrie et le commerce. L’effet en eût été d’autant plus pénible que cette année même expirait une charge importante des finances anglaises, le service de ces emprunts amortissables par remboursemens annuels que l’on appelait les longues annuités. De ce chef, l’année 1860-61 se trouvait affranchie d’un service de plus de 53 millions. Ce soulagement était attendu depuis plusieurs années comme devant fournir l’occasion de nouveaux dégrèvemens de taxes, de nouvelles expériences sur le revenu. Dans l’hypothèse du budget timide et restreint dont nous parlons, l’extinction des annuités eût été marquée par une déception pour les classes populaires. Si M. Gladstone eût voulu échapper à cette déception, il eût pu appliquer l’économie provenant de l’extinction des annuités à la suppression de la surtaxe du sucre et du thé ; seulement il eût eu besoin alors d’un impôt sur le revenu, qui se fût élevé au sou pour livre ou à 5 pour 100. De la sorte l’Angleterre, en augmentant son impôt direct, eût eu au moins la consolation de continuer ces dégrèvemens sur les contributions indirectes qui lui tiennent tant à cœur.

Mais le traité de commerce avec la France ne permettait point une combinaison aussi simple. La première conséquence de ce traité devait être d’accroître le déficit des finances anglaises. Au point de vue fiscal, le traité agit d’une façon contraire sur les deux pays. En France, le traité, remplaçant des prohibitions par des droits protecteurs, amènera l’importation de marchandises anglaises qui paieront à l’entrée, et il accroîtra le revenu de nos douanes. En Angleterre, l’effet obtenu sera différent. Les Anglais avaient conservé sur quelques marchandises produites par la France certains droits protecteurs : ils y renoncent, et font par là une perte sèche de revenu. Sur d’autres produits, les vins et les esprits par exemple, ils percevaient des droits fiscaux : ils opèrent des réductions considérables sur ces droits, et comme ils donnent le profit de ces réductions non —seulement à la France, avec laquelle ils ont traité, mais à toutes les provenances et à tous les pays, ils font un sacrifice notable de leur revenu. M. Gladstone estime ce sacrifice à 1,737,000 livres, ou un peu plus de 43 millions de francs : c’est en effet la somme dont profiteront les consommateurs anglais par l’abolition ou la diminution des droits ; mais 11 pense que, par l’accroissement de la consommation, le trésor recouvrera dès la première année 35 pour 100 des sommes dont il fait l’abandon. Cette prévision un peu optimiste laisserait encore à 30 millions de francs le déficit que le traité de commerce inflige au revenu britannique.

Devant cet accroissement de déficit que lui apportait le traité de commerce avec la France, M. Gladstone a pris un parti héroïque. Il a renoncé aux budgets de routine et d’expédiens, qui, tant bien que mal, mais sans gloire, pouvaient aligner le revenu à la dépense. Il a voulu construire un