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durant cette période qui vient de s’écouler : c’est d’abord l’état des partis, et surtout cette crise profonde que traverse depuis longtemps le parti conservateur, le seul qui, dans les conditions actuelles, puisse aspirer à recueillir l’héritage du pouvoir. Entre le ministère et toute une fraction conservatrice, la guerre a commencé depuis le premier jour, et elle continue encore. Les modérés ont fait au comte de Lucena un crime de son avènement à la présidence du conseil, sans remarquer qu’ils l’avaient préparé en ne parvenant pas même à soutenir trois ministères sortis de leurs rangs, en les laissant tomber l’un sur l’autre, et ils n’ont pas vu depuis que toutes les fois qu’ils livraient bataille au chef du cabinet sans avoir à lui opposer un parti homogène, compacte, uni par des doctrines précises, ils lui préparaient une facile victoire. C’est l’éparpillement de toutes les forces de l’ancien parti conservateur qui a été jusqu’ici la plus efficace garantie du ministère, comme elle a été sa raison d’être à l’origine, outre que les modérés, cédant, eux aussi, à ce souffle de réaction qui a emporté l’Europe, ont mis trop peu de soins depuis longtemps à rassurer les instincts libéraux de l’Espagne, laissant de la sorte le drapeau du libéralisme monarchique aux mains de qui voudrait le prendre.

Les modérés eux-mêmes n’ignorent pas que là est leur faiblesse ; aussi depuis quelque temps cherchent-ils à se rallier, à recomposer l’ancien parti. Il y a eu notamment dans ces derniers mois des réunions à Madrid et même à Paris, sous l’influence conciliatrice de la reine Christine, pour arriver à une fusion des principaux élémens conservateurs d’autrefois. Ce n’est point malheureusement une petite difficulté d’avoir à rapprocher des personnalités discordantes, à concilier des rivalités, des ambitions, des antipathies, qui sont nées au sein du pouvoir, que les défaites ont irritées plus qu’elles ne les ont adoucies, et qui survivent aux fautes mêmes dont elles ont été la cause essentielle, toujours prêtes à se réveiller au moindre prétexte. Entre ces fractions diverses qui se groupent sous les noms du général Narvaez, de M. Bravo Murillo ou du comte de San-Luis, les froissemens naissent à chaque pas. Tous les ministères conservateurs ont laissé des germes de désunion. Or, tant que la trace de ces divisions subsistera et même tant qu’on n’aura pour remédier à ce mal profond que des réconciliations artificielles et précaires, l’ancien parti modéré manquera d’une force propre pour reprendre le pouvoir : il restera ce qu’il a été depuis un an pour le ministère du comte de Lucena, une opposition sérieuse, mais inefficace. Il aura raison souvent contre le gouvernement qu’il combat ; mais son passé, ses fautes, ses incohérences se relèveront contre lui.

Une autre circonstance a fait vivre le cabinet du 30 juin 1858,