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A Venise comme sur le lac de Garde, on touchait au but : quelques heures encore, et tant d’efforts accomplis avec abnégation trouvaient dans une victoire certaine leur plus douce récompense. Depuis bien longtemps, la marine n’avait armé une flotte mieux organisée, réunissant dans un plus parfait ensemble tous les progrès, toutes les améliorations que les découvertes récentes et les sciences ont apportés à l’artillerie, à la vapeur et au personnel. Comme à Navarin et en Crimée, la marine combattait pour une noble cause : elle soutenait une nation qui souffrait, un peuple qui se réveillait. Les regrets furent immenses, car dans cette guerre si glorieuse pour l’armée de terre, la flotte n’avait pu faire entendre le bruit de ses canons. À côté de grandes victoires, elle ne pouvait parler que de ses fatigues bravement supportées, de longues croisières et de pénibles traversées. L’évacuation de Lossini se fit lentement, comme à regret. Le jour de l’arrivée en Italie avait été salué par d’unanimes cris de joie ; au jour du départ, un même sentiment régnait dans tous les cœurs : c’était le regret de ne pas avoir rendu la liberté à Venise.

À Desenzano, les travaux furent repris ; l’empereur vint assister au lancement de la canonnière n° 6, et décida que tous ces bâtimens seraient donnés au roi Victor-Emmanuel. La cérémonie de la mise à l’eau fut pour f armée, cantonnée aux environs du village, une fête curieuse. Le rivage disparaissait littéralement sous des milliers de soldats, et une immense clameur retentit dans les airs quand la canonnière pavoisée, glissant sur sa cale, entra dans le lac ; puis peu à peu tout bruit cessa. L’armée, s’échelonnant par brigades, prit la route de Lonato, et il n’y eut bientôt plus de Français à Desenzano que les marins de la flottille. Ces rivages, naguère si animés, reprirent leur physionomie habituelle, et le calme du lac ne fut plus troublé par les salves bruyantes de notre artillerie.

Ce fut le 16 août qu’eut lieu la remise des canonnières françaises à la marine sarde. Le pavillon français, hissé sur chaque chaloupe, fut salué de vingt et un coups de canon par l’artillerie de nos alliés. Une division d’infanterie piémontaise échelonnée sur le rivage et une batterie rendirent le salut coup pour coup. Lentement, bien lentement même, comme on le pense, nos marins retirèrent les couleurs nationales. Tout était fini : les canonnières préparées pour l’attaque de Peschiera n’étaient plus françaises ! Les capitaines et les équipages quittèrent aussitôt ces bâtimens avec une douloureuse émotion. Telle est la tristesse que ressentent tous les marins abandonnant leur navire, soit après un naufrage, un combat malheureux, ou même après un simple désarmement. N’est-ce pas comme un vieil ami que l’on perd ? Les matelots, dans leur langage figuré, en