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parlent toujours comme d’une chose animée qui sent, qui souffre, qui pense comme eux. Leur amour pour cette parcelle de la patrie, amour que l’on retrouve aussi dans l’armée pour le régiment, explique bien des dévouemens et donne bien des victoires. Les marins du lac de Garde avaient pour ainsi dire porté leurs bâtimens dans leurs bras ; ils les avaient vus naître, grandir, marcher ; puis ils les avaient perdus pour toujours. Ils emportaient, il est vrai, ces drapeaux que l’on venait de saluer avec tant de respect ; mais ces drapeaux étaient intacts, vierges du feu, et peu de jours avant ils avaient vu passer des milliers de soldats fiers de montrer les leurs hachés par la mitraille et les boulets ! La mission de la flottille en Italie était terminée, et le 17 août les matelots du lac de Garde comme ceux de Venise reprirent tristement le chemin de la patrie.


III

Telle fut la douloureuse impression produite sur nos marins par la nouvelle inattendue qui arrêtait la belle flotte de l’Adriatique comme la vaillante flottille du lac de Garde dans un mouvement commun vers la victoire. Après avoir exprimé dans toute sa vivacité cette émotion du premier moment, on aimerait à dire quel sentiment lui succéda. Les gens de cœur ne connaissent qu’un seul adoucissement à certaines tristesses, c’est la certitude que de leurs plus pénibles épreuves sortira quelque bien pour l’avenir. Cette noble consolation n’a pas manqué à nos marins. S’ils ont pensé d’abord avec un profond regret à ce qu’ils n’ont pu faire, ils se sont plus tard rappelé, non sans quelque fierté, ce qu’ils avaient fait. Ils n’avaient pas vaincu dans des combats, mais leurs rudes et patiens travaux avaient constaté un résultat dont le pays a droit de s’enorgueillir : c’est qu’il se forme en France une nouvelle marine, dont il faut retracer brièvement le point de départ pour en mieux faire entrevoir l’avenir.

Dès 1854, au moment même où nous achevions la transformation de notre marine à voile en marine à vapeur, on fut obligé d’ajouter à la flotte des batteries flottantes et des canonnières destinées à seconder les opérations d’un siège par mer. C’était alors une marine auxiliaire que l’on créait à côté de l’ancienne pour la compléter, car avant l’apparition de ces nouveaux engins de destruction, il était admis en principe qu’une batterie de terre de quatre pièces triomphait d’un vaisseau de cent. Qu’y a-t-il de vrai dans cette règle, contredite glorieusement par les succès de Saint-Jean-d’Ulloa, de Tanger, de Mogador ? Ce qui est certain, c’est que des vaisseaux, même vainqueurs dans un combat contre les forts d’une rade, avec