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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/165

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nigmes, déconcertaient tous ses mentors. L’enfant, songeuse devint une jeune fille pleine de séductions et de prestiges. Son cœur était ouvert à toutes les impressions du beau, à tous les enchantemens de l’art et de la pensée. D’abord, sous l’influence d’un maître qui appartenait à la secte des méthodistes, une piété ardente et sombre s’était emparée de son âme ; elle méprisait ce monde, elle dédaignait la vie active, et plus d’une fois, dans ses aspirations vers Dieu, des pensées de suicide traversèrent son cerveau. Ses parens avaient beau redoubler de vigilance pour l’arracher à ces périlleuses extases : vaines instances, conseils inutiles ! elle vivait comme une religieuse ascétique, cette protestante exaltée, et luttant contre ce corps de mort qui la retenait loin de Jésus-Christ, elle s’imposait des privations meurtrières. Elle voulait mourir et aller trouver le Sauveur ; mais le Sauveur, dit très bien un de ses biographes[1], est descendu sur la terre, c’est sur la terre qu’il faut le chercher. Cet ardent amour de la mort, cette soif impatiente de l’autre vie ne furent qu’une crise chez Charlotte Willhoeft ; elle redescendit sur la terre, et de ses communications avec Dieu elle ne garda que l’amour de tout ce qui est divin parmi les hommes. La poésie, les arts, la musique, toutes les langues du monde idéal, tout ce qui met notre race en communication avec les sphères supérieures, et aussi tout ce qui peut nous y mériter un jour une place heureuse, l’amour, la bonté, le bonheur de se sacrifier soi-même, la joie d’inspirer aux autres ces sentimens célestes, le prosélytisme candide des belles âmes qui attirent par la sympathie les intelligences indécises et les élèvent aux choses éternelles, telles furent désormais les extases et les occupations de Charlotte. À la piété défiante et stérile succédait la piété charitable et féconde. Elle chantait divinement, elle faisait aussi des vers, car elle voyait tant de choses particulières dans ses mélodies aimées qu’elle voulait les traduire autrement que par les accens de sa voix. À des paroles insuffisantes elle substituait les siennes, et celles-là mêmes, au bout de quelques jours, les trouvant incomplètes encore, elle les remplaçait par des interprétations nouvelles. Croyait-elle avoir reçu le don de poésie ? Rien ne peut le faire supposer, mais certainement elle s’était dit plus d’une fois : « Ah ! s’il m’était donné de servir en quelque manière la cause sacrée de l’enthousiasme !… On dit que les femmes allemandes des premiers âges remplissaient ce rôle au milieu de nos ancêtres ; pourquoi ces temps ne sont-ils plus ? Est-ce notre race qui a changé ? Pour moi, je sens qu’un tel ministère, plus humble et plus caché sans doute, comme il convient à notre société moderne, serait encore la vocation de ma vie. Servante

  1. Charlotte Slieglitlz, ein Denkmal, 1 vol. in-4o, Berlin 1835.