Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et latine. Précédé par cette réputation, accompagné de tant de vœux et d’espérances, Henri Stieglitz est accueilli partout à bras ouverts. Sa première visite, quand il va de Leipzig vers les contrées du Rhin, est pour le vieux Jean-Paul Richter, établi alors à Bamberg. Comme son cœur bat au moment où il monte l’escalier, où il va frapper à la porte ! Et comme il est rassuré bientôt par l’hospitalité cordiale de l’illustre vieillard !

Malheureusement cette cordialité est mêlée de prétentions puériles, de coquetteries surannées. Henri Stieglitz était allé chez Jean-Paul avec un de ses camarades, nommé Grosse, qui aspirait à devenir poète dramatique ; quand les deux amis eurent quitté l’auteur du Titan, quand ils comparèrent le Jean-Paul de leurs songes avec ce vieillard si amoureux de lui-même et fardé comme une coquette, ils se serrèrent la main sans échanger une parole. Leur impression avait été la même, mais ils se gardaient bien de l’exprimer, ne voulant pas manquer au respect du génie. Ils sortirent de la ville, toujours silencieux, et se trouvèrent bientôt sous de grands peupliers qui frémissaient au vent. « Voilà l’image du poète, s’écria l’un d’eux ; ses racines sont vigoureusement plantées dans la terre maternelle et sa tête s’élance dans le ciel, les airs se jouent dans son feuillage frais, il est libre, il est fort, il est grand. » En face de ces peupliers, Stieglitz et son ami se jurèrent l’un à l’autre de poursuivre courageusement leur tâche, de demeurer éternellement fidèles à l’amour qu’ils avaient dans le cœur, d’être toujours vrais avec eux-mêmes, de rester toujours simples. Ils ne s’apercevaient pas qu’ils ne l’étaient guère en ce moment, et que le bon Jean-Paul, avec ses légers ridicules, pouvait encore leur donner des leçons de simplicité. Après Jean-Paul, voici un autre maître de la poésie de ce temps-là, le vieux Voss, l’auteur de Louise. Stieglitz décrit avec émotion cette mâle physionomie, ce jeune homme de soixante-douze ans, jeune homme de corps et d’esprit, que les années ont à peine touché de leur aile. La maison qu’il habite à Heidelberg est bien celle qui convient au prince de l’idylle : c’est la campagne au milieu de la ville ; de ses fenêtres, il n’aperçoit que le Neckar et les montagnes, et autour de lui quelle sécurité joyeuse ! quelle dignité patriarcale ! « Depuis longtemps, écrit Stieglitz à Charlotte, j’admirais Voss de toute mon âme. J’honorais en lui le soldat de la lumière et de la vérité, le promoteur des sciences, l’écrivain qui a rendu tant de services à notre langue nationale, le traducteur inspiré des trésors de la Grèce, le noble chantre des choses simples et de la nature, et je m’étais fait de sa personne une image où la simplicité la plus vraie s’alliait à une dignité parfaite. Cette image, je la voyais maintenant devant moi… »

Accueilli par les poètes, par Jean-Paul et l’auteur de Louise,