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n’a point de meilleurs soldats que les anciens archers d’Ecosse, et que l’Alsace est, depuis un siècle au moins, la pépinière des meilleurs régimens français. D’un peuple barbare à un peuple civilisé, au contraire, l’assimilation est d’autant plus longue à s’opérer que sont plus profondes les différences. Tout contribue à séparer les nouveaux maîtres des nouveaux sujets, les croyances autant que les préjugés, les lois divines autant qu’humaines, parfois les vertus autant que les vices. À faire tomber de telles barrières, la justice, le bon gouvernement servent peu : heureux encore quand ils ne nuisent pas, car il n’est peut-être pas de points sur lesquels la civilisation et la barbarie s’entendent moins que sur ce qu’elles demandent ou reprochent à leur gouvernement. Ce que l’une appelle l’ordre paraît à l’autre une insupportable tyrannie. Une oppression intermittente lui paraît moins lourde à porter que cette gêne douce, mais continue, cette équitable répartition d’un fardeau constant, qui constitue pour nous une administration régulière. Une défiance réciproque est donc pour des siècles peut-être la condition nécessaire de deux élémens si contraires violemment rapprochés ; il n’en est pas qui rendent le commandement si pénible, ni surtout le recrutement des armées si dangereux.

Plus qu’aucune autre peut-être, la population qu’on trouvait éparse sur le sol de la régence d’Alger offrait aux prétentions les plus modérées de ses conquérans tous les genres de résistance active et négative. L’appeler une population barbare, c’eût été lui faire tort, et de plus l’offenser grièvement, car son état était celui d’une civilisation très imparfaite, mais en revanche très orgueilleuse. D’origine plus récente que la nôtre, à qui elle a un moment disputé et la possession du monde et la gloire des lettres et des arts, la civilisation musulmane, bien que déchue aujourd’hui, n’en est pas moins restée très fière. Peut-être cette fierté s’est-elle conservée plus intacte encore dans les pays, comme était l’Afrique en 1830, préservés du contact de l’Europe, et pouvant par là échapper à la preuve trop évidente de leur décadence. Les promesses d’une religion qui s’honore de rendre à la jalouse unité divine un hommage en apparence plus absolu que l’Évangile lui-même, le souvenir des prodiges du croissant et des pompes de l’Alhambra, la vue, toute récente encore, des chrétiens captifs dans le port d’Alger et des monceaux d’or entassés par les tributs de l’Europe humiliée, des instincts belliqueux, des armes imparfaites sans doute, mais merveilleusement appropriées à la défense des fortifications naturelles du sol, tout contribuait à maintenir chez les pasteurs de l’Atlas un sentiment de leur force et un espoir de secouer le joug qui devaient en faire très longtemps les plus intraitables des sujets. Il n’y avait aucun espoir de