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de caféine, 4 décigrammes, administrée dans de petites boulettes de mie de pain, et qui aurait amené la mort d’un fort lapin au bout de 14 heures 40 minutes, représenterait, d’après la moyenne des analyses, au moins 20 grammes de thé, c’est-à-dire une quantité qui, employée dans la pratique habituelle des consommateurs de thé, aurait produit au moins six tasses de l’infusion aromatique. Admettons que la totalité de la caféine, quittant le parenchyme, aura passé dans la solution qui constitue le breuvage : en ce cas même, si l’on peut comparer le lapin à l’homme en tenant compte des différences de volume et de poids, on arrivera forcément à une conséquence des plus rassurantes pour les amateurs de thé. S’il faut, pour empoisonner un petit animal pesant 1 kilo (et ce serait un beau lapin), 4 décigrammes de caféine correspondant à 20 grammes de thé et à 6 tassés d’infusion, il faudrait pour empoisonner un homme du poids moyen de 70 kilos 1,400 grammes de thé sec correspondant à 420 tasses ou 21 litres d’infusion ; mais dans ce cas ce serait, même en supprimant l’action de la caféine, appliquer la question à l’eau chaude, qui suffirait largement pour déterminer la mort. Il faut donc écarter toute possibilité d’empoisonnement subit pour i’homme par la caféine.

Une objection plus sérieuse se fonderait sur certains effets des poisons insidieux lentement accumulés dans nos organes et formant au bout de plusieurs années la dose nécessaire pour déterminer un empoisonnement rapide. Tels sont les effets bien réels et souvent observés des lentes intoxications saturnines. On ne connaît rien de semblable en ce qui concerne le thé ; les moyens de démonstration expérimentale ne manqueraient pas cependant, si ce n’est chez nous, de moins parmi les populations qui consomment cent fois plus de thé que nous, comme les Anglais, ou mille fois plus, comme les Chinois. Ainsi donc, si la caféine à doses suffisantes est un poison, elle n’est pas de la famille de ceux qui ont la funeste propriété de s’accumuler dans nos organes.

Il est un dernier argument qui seul devrait nous rassurer pleinement : c’est que certains poisons, même des plus énergiques, peuvent, étant réduits à de faibles proportions, on pourrait dire aux doses convenables, devenir des agens salubres. Ne sait-on pas que plusieurs expérimentateurs très habiles ont constaté la présence de l’arsenic dans de bienfaisantes eaux minérales ? C’est ainsi que l’illustre chimiste Thénard a constaté les proportions de ce radical de tant de composés vénéneux, et sous l’une de ses formes les plus