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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/23

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suite de capitaux et au besoin d’émigration, s’établit de lui-même ; mais quand ils n’existent pas ou quand ils demeurent inconnus et inaccessibles, il est évident qu’il ne suffit pas de la volonté du législateur pour faire naître un mouvement auquel aucun intérêt actif ne donne l’impulsion.

Or telle était malheureusement en 1830, telle est encore au fond, quoique adoucie et en grande voie d’amélioration, la situation de nos nouvelles possessions africaines. Si le commerce avait établi de longue date sur la côte orientale de la Régence, à La Calle, quelques pauvres établissemens destinés à la pêche du corail, ce n’était pas un faible objet de luxe d’un usage si limité qui pouvait attirer à lui le flot de capital nécessaire pour peupler et développer la colonisation d’une vaste province. Hors de là cependant l’Algérie, au moins telle qu’elle sortait des mains des Arabes, n’offrait guère autre chose que de l’huile, du blé et des troupeaux, toutes denrées qu’à tort ou à raison la France se croit propre à produire mieux que personne, et qu’elle aime mieux se demander à elle-même qu’emprunter à autrui. Sans doute ce n’était pas là tout ce qu’une si vaste région, placée sous un ciel si bienfaisant, pouvait rendre à l’obstination ingénieuse d’un travail intelligent. D’autres trésors étaient renfermés sous les couches épaisses de sa terre végétale, ou se cachaient dans les gorges et dans les entrailles de ses montagnes. Le soleil qui l’échauffe pouvait prêter vie même aux plantes qui n’avaient pu naturellement germer sur le sol. On pouvait donc espérer, soit de découvrir, soit de naturaliser en Algérie d’autres produits que ceux qu’en avaient tirés la négligence et l’imprévoyance de ses possesseurs ; mais pour faire cette transformation, un long travail, soit de recherches, soit d’acclimatation, était nécessaire, et en attendant l’Algérie n’offrait au commerce aucun objet d’exportation séduisant ou sérieux. Compter sur le commerce pour fonder ou même hâter la colonie, c’eût donc été s’enfermer dans un cercle vicieux d’où l’on n’aurait pu sortir, car, avant que le commerce y vînt chercher les produits qui l’alimentent, il fallait une colonie, et une colonie en pleine activité, pour les faire naître.

Il fallait donc, faute de mieux et par l’impossibilité de toute autre entreprise, ajourner les espérances commerciales, tenter en Algérie ce que j’appellerai une œuvre de colonisation directe, c’est-à-dire provoquer l’émigration de populations entières, n’ayant d’autre but que de s’établir sur un nouveau sol pour y vivre ensuite, comme les cultivateurs de nos campagnes, du travail quotidien de leurs bras, d’un trafic domestique et intérieur, — une colonie destinée à se suffire à elle-même et n’ayant d’autre fin qu’elle-même, non le débouché ou le comptoir de la mère-patrie, mais sa prolongation