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de principe, supposons que dans le cas où la brochure n’aurait pas réussi à convertir la cour de Rome, les cabinets consentent à passer outre et à mutiler par un acte européen la souveraineté temporelle du chef de l’église ; supposons que l’Autriche nous délie bénévolement des promesses de restauration de Villafranca : le congrès aura alors des territoires à sa disposition, les Romagnes, Parme, Modène, la Toscane. On se trouvera encore en face d’une question de principe. Les populations de l’Italie centrale ont exprimé et répété un vœu : elles veulent être annexées au Piémont et former avec le Piémont un état qui, par ses seules forces, mette à l’abri l’indépendance de la péninsule. Ce vœu de l’Italie centrale n’est point capricieux ou chimérique ; il est inspiré par un sentiment très net et très fort des vraies conditions de l’indépendance de l’Italie. Les esprits élevés et courageux qui en ont été les promoteurs regardent l’annexion comme la conséquence nécessaire de la paix de Villafranca, puisque cette paix a laissé à l’Autriche et les forteresses du quadrilatère et un pied sur la rive droite du Pô. Pour résister au besoin à cette position menaçante de l’Autriche, en la transformation morale de laquelle on leur permettra de n’avoir pas une foi soudaine, ils veulent constituer un royaume puissant de l’Italie supérieure. Ils se sont attachés à cette combinaison avec une jalouse et énergique conviction qu’ils ont communiquée aux populations gouvernées par eux. Le plus remarquable des chefs de l’Italie centrale, M. Ricasoli, vient d’en donner une preuve éclatante. Sa devise est l’annexion ou la mort. Le péril qu’il redoute n’est point le retour des archiducs : c’est la formation d’un royaume distinct dans l’Italie centrale. C’est de peur de prêter indirectement les mains à la préparation éventuelle d’un état de cette sorte, que, dans l’incident Boncompagni, on l’a vu résister avec une opiniâtreté victorieuse à l’absorption de la Toscane dans une régence commune aux quatre états du centre : il a voulu que le sort de la Toscane demeurât exclusivement lié à celui du Piémont, et ne se confondit pas dans une combinaison qui aurait présenté le cadre tout fait d’un nouveau royaume. Les vues du baron Ricasoli sont partagées en cela par tout ce qu’il y a de vivace et d’énergique en Italie, par le parti national, devenu essentiellement unitaire. La brochure ne fait aucune allusion à la politique d’initiative des Italiens. La Romagne une fois officiellement détachée des états pontificaux, elle ne dit point ce qu’il en faudrait faire, elle n’ouvre pas la bouche sur la combinaison territoriale à laquelle le congrès devrait l’agréger. Il y a lu pourtant un grand écueil pour la France et pour le congrès. Chercher à créer un royaume de l’Italie centrale, c’est non-seulement susciter bien des embarras entre les cabinets pour le choix d’un candidat à la nouvelle royauté, c’est encore tourner contre soi le mouvement qui a prévalu en Italie, contredire les vœux des populations, rouvrir peut-être la péninsule aux menées révolutionnaires, en un mot s’attirer, tous les inconvéniens d’une lutte contre une tendance nationale après avoir assumé ceux d’une rupture avec le droit légitimiste. Comment le congrès surmontera-t-il cette difficulté, s’il a survécu aux autres ? Nous sommes curieux de le voir.

Plus on avancera, dans le développement des questions italiennes, et plus, nous en sommes convaincus, il deviendra évident que la meilleure politique