Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le gouvernement de la France était bien loin de disposer, pour l’entreprise que les événemens le contraignaient d’accomplir, d’instrumens si bien appropriés. En aucune autre matière peut-être, la différence des races anglaise et française n’est, on le sait, plus sensible. Une expérience malheureusement répétée sous beaucoup de latitudes, et qui a abouti à faire passer à nos voisins la plupart de nos meilleures colonies, a fort accrédité dans le monde la conviction que nous sommes beaucoup moins doués qu’eux de ce qu’un phrénologue appellerait la faculté colonisatrice. Si l’analyse que nous venons de faire est juste, elle fournira, je le crains, les raisons véritables de cette opinion vulgaire. À coup sûr, ce qui peut manquer aux Français pour bien coloniser, ce n’est pas le courage d’entreprendre des choses dangereuses ou difficiles : une pareille accusation, cette année-ci encore plus qu’aucune autre, serait aussi odieuse que ridicule ; mais le courage français, qui éblouit et subjugue le monde, paraît avoir besoin de deux conditions pour briller de tout son éclat, de camarades pour lui applaudir, et de bons maîtres pour lui commander. C’est en société et en régiment que le Français est incomparable ; isolé et sans guide, il s’inquiète, s’ennuie et se décourage. Son naturel l’a fait sociable par excellence, et ses institutions politiques l’ont habitué de longue date à être gouverné, administré, régenté, surveillé, protégé à toute heure, sur tous les points. On ne saurait imaginer de pire éducation pour affronter la solitude et l’abandon, inévitables dans une colonie naissante. On sait de plus combien l’esprit d’entreprise, l’initiative individuelle, sont rares et faibles chez les plus riches d’entre nous : c’est d’hier que l’industrie a imaginé de marcher toute seule, de remuer librement et d’associer hardiment ses capitaux. Quanta nos populations rurales, la routine et l’inertie règnent chez elles encore sans conteste. Faire comme son père, au même lieu que lui, et sur le même champ s’il est possible,