Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est tout ce que se permet l’imagination craintive d’un paysan. Nos lois civiles viennent encore en aide à cette tendance en assurant à tous les cohéritiers, dans chaque partage, non-seulement une part égale dans la fortune du père de famille, mais un fragment matériellement déchiré de chacun de ses immeubles. Tandis qu’en Angleterre les petits capitaux agricoles sont chassés du sol national par la concentration de la propriété et de la culture, ils y sont retenus au contraire en France par la division, constamment renouvelée, que les prescriptions excessives du code civil rendent obligatoire. Bien loin d’être portés à s’élancer dans des contrées lointaines, ils restent obstinément accroupis sur la terre à laquelle ils sont accoutumés, ils s’en disputent, ils s’en arrachent les lambeaux : ils s’y cramponnent et souvent s’y épuisent, et le travail le plus opiniâtre ne réussit pas toujours à les empêcher de s’y engouffrer sans retour.

Il fallait donc s’attendre que la vraie matière émigrante, si on ose parler ainsi, c’est-à-dire les cultivateurs pourvus d’un petit capital, serait pour le gouvernement français très difficile à mettre en mouvement vers l’Algérie, et resterait longtemps sourde à son appel. Pour la décider à s’émouvoir, pour l’enlever de ce sol natal qui la retient par tant d’attraits, il aurait fallu que des attraits plus puissans encore se fissent sentir de l’autre côté de la Méditerranée. Il aurait donc fallu que la culture en Algérie présentât des avantages immédiats, sensibles, considérables, de nature à récompenser vite les premiers qui s’y hasarderaient et à faire rapidement suivre leur exemple. Or ces avantages ne pouvaient résulter que de deux conditions indispensables l’une et l’autre à tout territoire qu’on veut promptement coloniser : une extrême abondance de terres cultivables et une extrême facilité à les mettre en culture. Avoir plus de terres et des terres plus aisément productives, parce qu’elles ne sont pas épuisées, c’est la supériorité des pays nouveaux sur les pays anciens, c’est le seul appât qui puisse diriger vers une colonie les populations rurales. L’Algérie possédait-elle ce double avantage à un assez haut degré pour attirer rapidement à elle un flot de colonisation ? Le nouvel établissement colonial trouvait-il ainsi au lieu d’arrivée assez de facilités pour compenser celles qui lui manquaient, nous venons de le voir, au point de départ ? Dernier aspect de la question qui n’était pas non plus entièrement satisfaisant.

Assurément ce n’est ni l’espace cultivable ni là fécondité latente qui manquaient sinon à l’Algérie tout entière, au moins à cette longue et large bande qui s’étend entre les montagnes et la mer, et qui a reçu par excellence le nom de Tell (tellus, terre). Il n’est pas besoin d’être connaisseur en agriculture, il suffit de traverser en ouvrant les yeux ce beau pays, pour se convaincre qu’il est aimé du ciel