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l’ancienne administration s’est vue l’objet ; il nous fait aussi mieux comprendre les causes qui ont amené sa chute et l’émotion qui l’a suivie.


I

Des diverses opérations que pouvait tenter le gouvernement de la France pour établir avec profit sa domination en Algérie, une était indispensable dans toutes les hypothèses et le préliminaire de toute autre : c’était la soumission de tous les indigènes et la conquête complète du pays. Conquérir pouvait n’être pas suffisant, mais conquérir était nécessaire. Quelque usage qu’on veuille faire de sa chose, la première condition, pour s’en servir à son gré, c’est d’en être pleinement maître. Or, avec une chose qui consistait en une étendue de territoire de 35 à 40 millions d’hectares, parcourue par une double chaîne de montagnes sur lesquelles s’embranchent dix ou douze lignes transversales de gorges étroites et de redoutables contre-forts, et habitée par un million d’hommes armés jusqu’aux dents, l’usage libre du droit de propriété n’était pas déjà une chose facile à obtenir. Il n’y a pas fallu moins de vingt années, et quelles années ! moins de cent combats, et quels combats !… Quel sang répandu et quelle gloire acquise ! Quels soldats ces vingt années ont coûtés à la France, et quels généraux elles lui ont donnés ! Disons-le tout de suite : ces grands efforts ne sont rien, si on les compare aux difficultés surmontées et au résultat obtenu. Il n’y a peut-être jamais eu dans le monde de conquête plus laborieuse, mais il n’y en a très certainement jamais eu de plus prompte, de plus humaine et de plus complète.

En un quart de siècle, la France a établi sa domination sur un quadrilatère dont une des dimensions n’a pas moins de deux cent cinquante lieues, et l’autre une longueur moyenne de cent. Cette domination n’a de bornes, à vrai dire, que celles qu’elle s’impose à elle-même. C’est la modération de la France qui forme la seule limite de ses possessions. Ni à l’est ni à l’ouest, où elle ne rencontre que des voisins sans force, ni au sud, où elle n’a d’autres ennemis que les sables et le désert, rien ne l’arrête, et elle est libre de prendre aujourd’hui en Afrique, à sa fantaisie, exactement tout ce que la longueur de son bras peut atteindre et tout ce que la largeur de sa main peut étreindre.

Dans l’intérieur de ces vastes possessions, il n’y a pas un point, pas une retraite, un sommet, où ses soldats n’aient passé, et où un désir de Paris ne soit un ordre souverain. Cette soumission à l’autorité politique française se manifeste par la plus incroyable sécurité