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naguère à tout instant la sécurité des Européens établis sur le sol d’Afrique. Huit millions de propriétaires en France, et au plein jour de la civilisation, ont trouvé le régime militaire nécessaire pour se défendre contre quelques centaines de milliers de socialistes désarmés ; je crois qu’on peut affirmer sans exagération qu’il était convenable, au moins pour quelque temps encore, en Afrique, afin de maintenir dans la soumission des vaincus belliqueux et bien armés, dont le nombre était à celui de leurs vainqueurs dans la proportion de cent contre un, au plus bas mot.

Le régime militaire était donc, à n’en pas douter, le seul possible, sinon pour la totalité, au moins pour les trois quarts et demi du sol africain, c’est-à-dire pour toutes ces régions de l’intérieur où la société arabe était encore organisée et puissante, et ce n’est que là, comme on aura occasion de le dire un peu plus loin, qu’il a été conservé dans toute sa rigueur ; mais comment faire pour que ce régime, indubitablement nécessaire, ne fût pas, comme c’est sa tendance naturelle, à la fois brutal et provisoire, ne prenant soin que de l’ordre extérieur pour le jour même, sans se préoccuper de préparer les progrès ou la stabilité du lendemain ? Ne pouvant faire tout de suite une cité de l’Algérie, comment s’y prendre cependant pour que la domination française y fût autre chose qu’un camp prêt à être levé et pouvant être balayé du soir au lendemain ? C’est ici qu’est intervenue très à propos la conception ingénieuse de former dans les rangs mêmes de l’armée un ordre d’officiers qui, sans renoncer à faire partie des cadres, sans cesser d’être soldats dans toute la force du terme, se destineraient cependant dès leur jeunesse, d’une manière toute spéciale, à l’administration des tribus soumises, et c’est ici encore qu’il faut admirer la souplesse et la variété des aptitudes de l’armée française. Il a suffi de faire appel à la bonne volonté et au patriotisme pour que des jeunes gens pleins d’avenir, à l’âge où règnent à la fois le goût des plaisirs et les rêves de l’ambition, se soient présentés en grand nombre, offrant de se consacrer tout entiers à l’étude d’une langue inconnue, de lois compliquées, de mœurs à demi sauvages. Une fois préparés par ces études spéciales, on a pu les distribuer dans tous les lieux qui pouvaient servir en quelque sorte de points d’attache à l’occupation française : tantôt dans les centres de gouvernemens militaires, à côté des officiers supérieurs, pour leur servir d’interprètes et d’instrumens, tantôt même seuls, dans de petits forts construits à la hâte, avec une compagnie ou un bataillon, pour s’assurer des positions importantes. Partout où ils ont été envoyés, ils ont accepté la tâche assez ingrate de surveiller dans le détail tout l’intérieur des tribus, d’entrer en communication directe avec leurs chefs, de s’enquérir à