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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/309

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les ressorts décisifs, au moins le brillant ornement de nos victoires[1]. Une modestie naturelle, persistant sous le voile de l’anonyme, n’a pas permis de compléter ces démonstrations en montrant que l’Afrique avait été l’école des officiers tout aussi bien que des soldats, et j’éprouve un véritable regret à sentir que le défaut absolu de connaissance spéciale ne me permette pas de combler cette lacune. Ai-je le droit pourtant d’affirmer qu’un des traits qui ont frappé les plus ignorans pendant cette dernière guerre, la justesse, la spontanéité des mouvemens particuliers de chaque petit corps d’armée, se faisant jour dans l’impossibilité ou dans l’absence de toute direction suprême, me paraît principalement dû aux épreuves par lesquelles nos campagnes d’Afrique ont fait passer nos moindres officiers ? Avec un territoire à la fois très étendu et très coupé, avec des ennemis dispersés en petites fractions et attaquant presque toujours à l’improviste, passant même à tout moment par surprise de l’état de paix à celui de guerre, il n’est si petit commandant préposé, à la garde d’un fort qui n’ait eu à tel jour ou à telle heure une expédition à diriger lui-même, peut-être à décider et à entreprendre de son chef. Ainsi s’est formée et répandue dans tous les rangs l’habitude du commandement et de la responsabilité personnelle, et à côté de la discipline, qui obéit sans comprendre, l’esprit d’initiative, qui sait prendre spontanément un parti. C’était là précisément ce qu’on pouvait craindre de voir disparaître de nos armées démocratiques, dans lesquelles, l’avancement étant lent, le droit de commander arrive tard. La guerre d’Afrique a fait beaucoup de capitaines à 2,000 francs d’appointement, de petits ducs d’Enghien qui ont gagné leur bataille à vingt-cinq ans. Joignez à cette excellente éducation celle qui naît du mélange constant de l’administration et de la guerre, du devoir de négocier, de gouverner après avoir combattu, d’éclairer et d’élever vers le bien ceux qu’on vient de vaincre. Songez un peu au métier que font la plupart de nos officiers d’Afrique, seuls avec quelques soldats au milieu de populations à la fois hostiles et subjuguées, combattans hier, aujourd’hui administrateurs et juges, constamment obligés de suppléer par l’autorité morale au défaut de la force matérielle, et n’ayant que l’ennui de la solitude pour se reposer des fatigues, du péril ; puis comparez cet emploi de la jeunesse à la vie que mène depuis dix ans l’élite de l’armée autrichienne, se promenant par des nuits délicieuses sur les lagunes de Venise sans autre devoir que de garder à vue des populations molles et désarmées, et vous aurez peut-être le secret de beaucoup de surprises. Vous comprendrez peut-être aussi comment dans

  1. Les Zouaves et les Chasseurs à pied, dans la Revue du 15 mars et du 1er avril 1855.