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d’autres temps et sous d’autres influences la même école pouvait produire des hommes dont la fermeté d’âme se trouvait à la hauteur de toutes les situations de la vie. Les uns, nés sur les marches du trône, se trouvaient prêts à prendre sans faiblir le chemin de l’exil pour en illustrer les tristes loisirs ; d’autres, n’ayant harangué que des soldats, prenaient rang dès le premier jour à côté des maîtres de l’éloquence parlementaire : dictateurs élus, ils savaient tour à tour défendre leur pouvoir contre l’émeute et le déposer devant la loi ; arbitres des destinées de leur pays, ils refusaient de les vendre pour l’appât des honneurs et des richesses. Soyez bénie, terre d’Afrique, malgré le sang et les sueurs qui vous ont baignée, et dussions-nous ne rien recueillir jamais des biens que votre sein renferme ! Nous n’oublierons pas que vous avez nourri d’un suc généreux tant d’âmes françaises que nous vous avons confiées ; aux jours de nos épreuves civiles, les soldats que vous avez formés nous ont sauvés tour à tour de l’anarchie et du déshonneur, et quand est venu le grand naufrage qui a englouti toutes nos libertés et nos plus chères illusions, les uns nous ont offert la compensation de la gloire militaire, d’autres nous tenaient en réserve, comme une consolation plus précieuse encore, le spectacle de la dignité morale debout dans l’abaissement universel.

Toutefois cette excellente armée d’Afrique est trop patriotique elle-même pour vouloir que la France paie 50 millions par an uniquement pour l’exercer, et la France elle-même ne peut vouloir acheter toujours à ce prix élevé une pierre pour aiguiser ses armes. De quelque côté par conséquent qu’on envisage la question, la nécessité de doubler la conquête par la colonisation, si on ne veut faire trop longtemps un marché de dupe, apparaît avec évidence. C’est donc sous ce nouvel aspect qu’il faut examiner les résultats de vingt-huit années de l’ancienne administration. Nous savons déjà les difficultés que la colonisation rencontrait ; voyons si elles se sont toutes réalisées et si on a réussi à les vaincre.


II

Au premier rang parmi ces difficultés, nous avons fait figurer, on se le rappelle, le défaut en Algérie d’un de ces produits spéciaux qui assurent à une colonie naissante l’appui d’un commerce fructueux. L’Algérie n’avait naturellement rien chez elle qui ne fût en France, rien par conséquent qui attirât vers ses bords les espérances du commerce : point de cultures tropicales, point d’épices, point de mines d’or, partant point d’échange préexistant entre la