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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/31

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autant que maltraité des hommes. Aux doutes élevés sur sa puissance productive, l’Algérie a répondu par deux ou trois expériences concluantes, qui ferment aujourd’hui la bouche aux plus incrédules. Les plus obstinés contradicteurs ne résisteraient pas par exemple, j’en suis sûr, à une demi-heure de promenade dans les jardins maraîchers qui s’étendent le long de la mer, à l’ouest d’Alger, entre le faubourg de Moustapha et le fort de la Maison-Carrée. Là, entre les derniers jours de décembre et le commencement de juin, d’industrieux Mahonnais tirent d’une langue de terre étroite que vient baigner la vague trois ou quatre récoltes de primeurs qui, se succédant de six semaines en six semaines, s’en vont, grâce à la vapeur et au chemin de fer, faire l’ornement de nos halles de Paris et les délices de nos restaurans. Il faut voir ces intelligens insulaires à l’œil vif et au visage ouvert, les bras nus, les jambes vêtues d’un pantalon rouge enlevé à la défroque de nos armées, accroupis entre deux rangées d’artichauts monstrueux ou de choux gigantesques. Une barrière de roseaux à haute taille, frémissant au moindre souffle, défend contre le vent de mer ce champ dont chaque motte de terre est un trésor. Au centre s’élève une noria arabe, sorte de roue grossière autour de laquelle des seaux sont enroulés, et qui, par un double mouvement sur la même axe, va chercher l’eau dans les profondeurs du sol, puis la répand autour d’elle. Sous cette aspersion bienfaisante, la terre a vraiment l’air de se soulever par la poussée intérieure des germes qui s’y développent. Tout à l’entour une végétation luxuriante de plantes grasses, d’aloès, de cactus et de figuiers de Barbarie rivalisent avec les produits de la culture, comme pour attester que le labeur de l’homme n’est pas encore venu à bout non-seulement d’épuiser, mais même d’absorber toutes les forces de cette nature exubérante. Tout ce tableau, éclairé par un soleil qui a la pureté lumineuse du printemps avec la puissance de la canicule, porte dans l’âme un sentiment de prospérité et de confiance qu’aucune brochure ou aucun discours en faveur de l’Algérie n’avait jamais fait naître en moi. Les craintes élevées sur la salubrité du pays, plus sérieuses et mieux fondées, n’ont pas tenu davantage devant un examen patient. Toute terre vide et inhabitée est assurément sujette à des émanations dangereuses, et tout changement de latitude est une épreuve périlleuse pour des travailleurs ; mais l’exemple de plusieurs villages des environs d’Alger, ou la fièvre a décimé une première génération de colons, tandis qu’une seconde y vit aujourd’hui dans d’excellentes conditions sanitaires, montre qu’il n’y a rien dans ces influences morbides dont le temps et les bons soins ne puissent triompher. Il n’y a rien là surtout qui dépasse les conditions communes de toute colonisation.

Du côté de la nature par conséquent, l’Algérie ne tient rien qui ne