Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jourd’hui, des députés à l’assemblée, et des députés peu favorables en général au gouverneur militaire de la colonie. Ce fut l’un d’eux qui fit le rapport de la loi dont l’article 14 fait partie. S’il y a eu erreur, c’est l’erreur de tout le monde, et du mal produit tout le monde est également criminel.

À qui fera-t-on penser d’ailleurs que si l’Algérie, au lieu d’être gouvernée par des militaires, était tombée en partage à des agens de l’administration civile, ceux-ci se seraient montrés moins pressés d’accaparer toute l’action colonisatrice et plus favorables à la liberté des transactions ? L’administration civile, nous la connaissons, ayant le bonheur de vivre en France sous la loi d’un système administratif très complet, de très illustre origine, et qui fait (n’est-ce pas la phrase stéréotypée ?) l’admiration et l’envie de l’Europe entière. Je suis prêt à reconnaître à cette administration toutes les qualités, sauf le goût de la liberté économique et la réserve en matière de règlemens. S’il y a en France et en Europe un ordre d’agens qui soient convaincus que l’état doit se mêler de tout et fait mieux toutes choses que les particuliers, ce sont assurément nos fonctionnaires civils sans distinction, préfets, directeurs des ponts et chaussées, ou des eaux et forêts, inspecteurs d’académie, présidens de bureaux de bienfaisance, ou chefs de division des ministères du commerce, des travaux publics ou des cultes. De quoi, en France, est-ce que l’administration civile n’a pas le désir de se mêler, et en quoi est-ce qu’elle n’a pas la prétention d’exceller ? Pour ma part, entre ce que j’ai trouvé en Afrique et ce que j’ai toujours vu en France, je ne reconnais qu’une différence du plus au moins, explicable par les circonstances. L’administration est déjà persuadée parmi nous que si nous lui laissions drainer nos champs, aménager nos forêts, élever nos enfans, soigner nos malades, distribuer nos aumônes, partager nos successions, chacune de ces fonctions sociales s’opérerait avec beaucoup plus d’ordre, de régularité et d’économie : elle ne néglige aucune occasion de nous en convaincre, et n’est arrêtée dans cet envahissement que par l’usage malheureusement ancien de la propriété privée, ce funeste jus abutendi imprudemment conservé par le droit romain. En Algérie, sur un terrain vierge, où cet abus n’a pas encore pris racine, il est tout naturel qu’elle ne se soit pas pressée de le laisser naître. Si l’armée a été l’instrument de cette manière de voir, ce n’est pas en tant qu’armée qu’elle a agi, c’est en tant qu’administration. Ce n’est point chez elle arrogance de militaire, c’est conscience et conviction de fonctionnaire, voilà tout.

D’où vient donc que c’est à l’armée, à l’armée à peu près seule, que s’est attachée après coup l’impopularité résultant de règlemens