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auxquels tout le monde a également concouru ? Deux raisons très simples expliquent sans l’excuser cette injustice de l’opinion. La première, c’est que l’impatience populaire n’est jamais raisonnée, et que ceux qui souffrent se rendent mal compte de l’origine de leurs souffrances, et s’en prennent à la première cause qui se présente à leur imagination. Or, sous l’ancienne administration, l’armée n’était pas tout en Algérie, comme on se plaît à le dire, car il y a plus de dix ans qu’il y a des autorités et des institutions civiles, des magistrats et des préfets ; mais il est certain qu’elle avait la plus grande et la première place. Le chef de l’administration était constamment un militaire, et le pouvoir suprême n’y apparaissait que revêtu de l’uniforme. C’est donc l’uniforme qu’on a attaqué, au lieu du pouvoir dont il était le symbole. On a pris le signe pour la chose signifiée ; c’est une transposition d’idées si naturelle qu’elle a sa place marquée en rhétorique. Une seconde raison, plus naturelle encore, découle de la répartition même du pouvoir faite sous l’ancienne administration entre le petit nombre d’institutions civiles déjà existantes et la grande masse de l’autorité militaire.

Cette répartition, remaniée à plusieurs reprises, avait été établie pour la dernière fois en 1848, non par nature d’attributions, mais par zones territoriales. Nos possessions africaines ont été divisées alors en deux ordres de territoires, le territoire civil et le territoire militaire. En territoire civil, la justice et l’administration sont exercées à peu près comme en France ; en territoire militaire, ce sont les généraux qui administrent et les conseils de guerre qui jugent. Dans la pensée d’ailleurs fort sage du législateur, le territoire civil a dû comprendre toutes les contrées habitées par une population européenne ou par des Arabes convertis aux mœurs sédentaires de l’Europe ; le territoire militaire doit embrasser au contraire toutes celles où la vieille société arabe règne à peu près sans partage : c’est dire assez que le premier a toujours été destiné à s’étendre et le second à se restreindre progressivement par suite des développemens mêmes de la colonisation. En attendant, on a attribué au territoire civil à peu près toutes les villes considérables où étaient établis des commerçans européens ou des Maures depuis longtemps livrés au trafic et au jardinage. Les vastes contrées de l’intérieur au contraire, les pentes ou les plateaux de montagnes, les profondeurs des vallées où les tribus arabes dressent leurs tentes et font paître leurs troupeaux, ont formé le domaine du territoire militaire.

Cette division était fort naturelle ; malheureusement elle a eu pour résultat de faire échapper le territoire civil presque tout entier à tous les règlemens officiels de la colonisation, tandis que le territoire militaire presque tout entier aussi y est resté assujetti. Dans