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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/328

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point, mais qui se trahissent, les inflexions de voix, les mouvemens de physionomie qui blessent. Je demande à l’ancienne administration, avant de passer à l’examen de conscience beaucoup plus chargée de ses successeurs, la permission d’achever sur ces points délicats sa confession tout entière.

L’armée a été placée très longtemps en Algérie dans une situation tout exceptionnelle : non-seulement elle y jouissait de l’exercice exclusif du pouvoir, mais elle disposait du monopole de la considération morale. Comme, de très bonne heure après la conquête, la guerre d’Afrique a pris des proportions redoutables, le gouvernement français n’a pas manqué d’envoyer dès le premier jour sur ce théâtre ses généraux les plus distingués. Comme d’ailleurs, dans la paix universelle qui régnait alors, les plaines d’Afrique étaient le seul champ ouvert à l’ardeur militaire, c’est vers ce point de mire que se sont dirigées de tous les rangs de l’armée française toutes les ambitions généreuses. C’est là que le talent a brillé, c’est là que la gloire a rapidement justifié la fortune. L’armée d’Afrique est devenue très promptement le plus beau fleuron et comme le premier choix de l’armée française. Il s’en faut que la population civile (administration comme administrés) ait eu l’occasion de s’élever à la même hauteur. Les premiers spéculateurs qui se hasardent sur un terrain inconnu ne sont généralement pas les plus honnêtes, et les modestes fonctions civiles qui pouvaient s’offrir dans une colonie encore en état de siège n’étaient l’objet d’aucune sollicitation ardente. Le gouvernement les offrait ou plutôt les imposait aux gens qu’il avait le désir d’éloigner, non d’avancer, à ceux qu’il voulait faire non pas briller, mais disparaître. L’Afrique, séparée de nous par plusieurs jours de mer, paraissait aux courtes vues de beaucoup de directeurs de ministères un lieu fait tout exprès, où des fonctionnaires tarés et des prêtres mal famés pouvaient aller à l’ombre expier leurs erreurs. De ce rapprochement ainsi opéré entre l’élite d’une classe et le rebut de l’autre résultait une inégalité morale profonde, qui plaçait l’armée sur un véritable piédestal. C’était une sorte d’aristocratie naturelle dont on jouissait avec d’autant moins de scrupules que c’était l’honneur lui-même qui creusait la séparation. Oserai-je dire que l’armée a gardé en Algérie trop de souvenirs d’un état de choses heureusement changé ? Elle ne s’est point assez aperçue que, par le temps et le travail, le niveau de la population civile s’élevait insensiblement à côté d’elle ; elle n’a pas assez remarqué qu’un labeur longtemps ingrat, et par là même méritoire, avait créé dans les rangs des commerçans, quelquefois même des cultivateurs, des fortunes dont l’origine seule est un titre d’estime, et dont l’acquisition est un véritable service public. A cette œuvre