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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/327

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les villes en effet et aux portes des villes, la propriété particulière existe de tout temps, et même elle est parvenue à un assez grand degré de morcellement. Dans les villes et aux portes des villes, la tribu proprement dite, depuis longtemps tenue en respect par les garnisons turques, puis repoussée (quand elle n’a pas été décimée) par nos armées, ne fait plus que de lointaines et rares apparitions. Dès lors l’interdiction d’acquérir, spécialement attribuée par la loi au territoire de tribu, ne trouvait plus son application. En territoire militaire au contraire, la tribu régnant presque exclusivement, l’application en est générale et ne souffre guère d’exception. De plus, la bande étroite de territoire attribuée au domaine civil étant presque tout entière appropriée, ce n’est pas là que le gouvernement pouvait se livrer à des essais officiels de colonisation ; dans les immenses étendues des territoires militaires au contraire, le village officiel pouvait se déployer tout à l’aise. C’est donc presque exclusivement sur le territoire militaire que le problème de la colonisation s’est débattu, et s’est trouvé enserré dans les règlemens de tout genre que l’ancienne administration lui a imposés. L’Algérie s’est trouvée partagée comme en deux régions : l’une, qualifiée de civile, où régnait une liberté comparative de transactions ; l’autre, qualifiée de militaire, à l’entrée de laquelle s’élevait une barrière gardée par une sentinelle. Il était assez facile dès lors de faire croire aux gens qui ne réfléchissent pas que cette barrière avait été inventée par l’armée pour empêcher la colonisation de passer. L’armée se justifie très bien en disant que cette barrière n’a arrêté personne, parce qu’aucun bataillon d’émigrans n’a jamais essayé de la forcer. Je ne dis pas le contraire ; mais alors à quoi bon la barrière ?

C’est ainsi que s’explique le malentendu qui a mis au compte de l’armée tout un système d’administration dont elle a pu être l’instrument, mais dont elle ne peut revendiquer l’invention ; c’est ainsi que se sont accréditées sur elle les calomnies qui circulent aujourd’hui, et que beaucoup de bouches honnêtes répètent ; c’est ainsi que s’est envenimée une hostilité funeste entre l’élément civil et l’élément militaire. Est-ce là tout ? N’y a-t-il pas à cette inimitié d’autres causes plus secrètes, sans être moins puissantes ? Je me garderais bien de l’affirmer. Dans les rapports publics, les choses se passent entre les hommes exactement comme dans les relations privées : quand deux personnes naturellement amies tombent en différend, soyez sûr que les griefs qu’on allègue tout haut ne sont jamais les véritables ou du moins les seuls. A côté des motifs qu’on avoue, il y a les motifs qu’on n’avoue pas, peut-être qu’on ne s’avoue pas à soi-même. A côté des torts positifs, il y a mille procédés de détail fugitifs et insaisissables : il y a les sentimens qui ne s’expriment