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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/331

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aussi des bras pour labourer, et n’en obtient qu’en débauchant aux grandes familles de la tribu un certain nombre de leurs vassaux. La tribu naturellement se débat et se défend contre ces exigences. A la suite des colons, par conséquent, arrivent toujours les réclamations, les contestations, les récriminations. Il faudrait avoir une âme administrative surhumaine pour n’en point concevoir un peu d’ennui. Cet ennui redouble surtout si la colonisation est représentée par un certain type de caractères que connaissent pour leur malheur tous les diplomates et tous les marins qui ont eu affaire aux Français établis au dehors. Ce sont des aventuriers à la fois brouillons et timides, ne voulant suivre aucun conseil et ne sachant pourtant pas se tirer d’embarras tout seuls, croyant qu’un Français n’est tenu à rien envers le reste du genre humain, et que le gouvernement français n’a d’autre devoir que d’appuyer toutes les demandes mal fondées de ses nationaux et de faire acquitter toutes leurs créances véreuses. Ils font le malheur de tous les agens par leurs réclamations sans fondement, par leurs transactions sans probité. Ces gens-là en Algérie se rencontrent fréquemment, et ils y étalent la double prétention de crier eux-mêmes très haut contre le régime du sabre, et d’exercer contre les Arabes, pour leur compte et à leur profit, tous les droits et même tous les excès de la conquête. De plus, la colonisation dans leur personne se présente sans capitaux, c’est-à-dire sans avenir, faisant beaucoup de bruit aujourd’hui pour peu de besogne, et prête à disparaître demain. On conçoit que les chefs militaires ne trouvent pas toujours que l’embarras qu’elle leur cause soit compensé par le profit que la France en retire, et qu’ils mettent peu d’empressement à l’accueillir ; mais on conçoit aussi comment les journaux d’Alger retentissent souvent des gémissemens de tous les colons qui, après avoir échoué dans leurs entreprises agricoles, cherchent un gagne-pain dans la presse, et accusent la malveillance des chefs militaires pour les Français et leur tendresse intéressée pour les indigènes.

Une disposition de détail, insignifiante en apparence, a porté au comble ces mauvais sentimens réciproques. Nous avons parlé des bureaux arabes, et de la part importante qu’ils ont prise à l’affermissement si rapide de notre conquête. Les bureaux arabes sont véritablement le grand ressort de toute l’administration militaire : ils en sont dans le présent la pièce principale, et la pépinière pour l’avenir. C’est par eux qu’elle agit et en eux qu’elle s’incarne. Or, par une division d’attributions conçue dans les meilleures intentions du monde, les bureaux arabes en territoire militaire ont été spécialement affectés au gouvernement des indigènes, et spécialement aussi on leur a interdit toute ingérence dans les affaires des colons