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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/351

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une lutte où la France se serait trouvée sans alliés contre l’Angleterre, c’était encore la seule guerre qui convînt à une coalition maritime ; c’était aussi la seule qui pût nous donner un avantage marqué sur les marines secondaires. Ne préparer une marine que pour la guerre de course, c’était donc engager l’avenir et porter la plus grave atteinte à la puissance nationale. Un pareil effacement ne tendait à rien moins qu’à nous rejeter au rang de la Prusse ou de l’Espagne. Aussi de temps en temps, aux plaintes éloquentes du ministre, à ses cris de détresse, répondaient dans les chambres quelques voix sympathiques. « Que reste-t-il de notre établissement naval ? disait M. le comte Beugnot. Des vaisseaux succombant sous l’effet d’un dépérissement accéléré, des monumens en ruines, des colonies abandonnées à elles-mêmes ! »

Le dépérissement du matériel, la mutilation même du corps des officiers, n’étaient cependant que les plaies visibles. Depuis cinq ans, suivant les paroles énergiques du général Foy, « notre marine avait été promenée de désorganisation en désorganisation. » Le 10 mai 1814, une ordonnance du roi avait prescrit la dissolution des équipages de haut bord ; le 29 novembre 1815, les préfectures maritimes avaient été abolies ; le 31 janvier 1816, les écoles navales de Brest et de Toulon avaient été supprimées. On avait ainsi fait table rase des institutions maritimes de l’empire, sans nous rendre ni les ressources, ni la discipline sociale, ni l’esprit de tradition, auxquels l’empire, instruit par ses revers, s’était efforcé de suppléer. On avait sacrifié des équipages fortement organisés pour leur substituer le rebut des choix du commerce. On avait livré le service des ports à de déplorables conflits. On avait transporté le collège naval à Angoulême, sans avoir une seule raison sérieuse à donner pour ce déplacement. Il était évident qu’on n’avait qu’un seul but : répudier comme un legs désastreux tout ce qui venait d’un autre régime. C’était ce courant d’opinion passionnée qu’il fallait remonter. Il fallait avoir le courage de reconnaître que l’empire, sur bien des points, avait eu l’esprit juste, qu’il avait merveilleusement compris ce qu’exigeait une situation essentiellement nouvelle, et qu’en dehors des institutions maritimes dont on s’était si mal à propos hâté de se défaire, il n’y avait ni avenir ni salut pour notre établissement naval. Habituer le roi et les princes à ces idées hardies, y ramener doucement les gardiens trop jaloux de la fortune publique, faire appel tour à tour à la prudence politique et à l’enthousiasme populaire, arrêter ainsi, au prix de mille efforts, notre marine sur la pente de ce déficit où ses derniers vaisseaux eussent été s’engloutir, tel fut pendant douze ans le rôle des ministres qui se transmirent avec le portefeuille de la marine une situation souvent désespérée. Ces ministres,