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quelques-uns de ces bâtimens dans le plus grand détail, et je n’eus pas de peine à reconnaître combien l’isolement dans lequel nous avions vécu pendant vingt ans nous avait laissés en arrière. Le vaisseau espagnol venait de La Havane. Il avait été dirigé sur Mahon pour y subir une longue quarantaine. La mauvaise tenue de ce bâtiment ne justifiait que trop les scrupules de la commission sanitaire. Un extérieur aussi sale et aussi délabré ne pouvait donner qu’une mauvaise idée de la santé de l’équipage. Il n’en était pas de même de la frégate sarde. Construite à Gênes par nos ingénieurs, elle avait la plus belle apparence. Elle reprit la mer peu de temps après notre arrivée, et je n’eus point l’occasion de m’assurer si cette bonne mine n’était pas trompeuse. Lorsquelle passa à poupe du Centaure, elle nous salua du pavillon. Nous remarquâmes que tous les commandemens se faisaient en français et qu’ils étaient exécutés avec beaucoup de célérité. La corvette hollandaise offrait, sous tous les rapports, une tenue remarquable. Avant même de pénétrer à bord, on reconnaissait un bâtiment habité par une race soigneuse, pour laquelle la propreté est moins une affaire de discipline que d’habitude. Les peuples méridionaux sont de véritables artistes ; ils en ont, la plupart du temps, les allures négligées ; les vertus maritimes, l’ordre, le silence, la patience, la régularité, ne sont point dans leurs instincts. Ils peuvent cependant se plier aux exigences d’un service qui leur est presque toujours antipathique ; mais c’est comme l’arc courbé par une main puissante, qui se redresse dès qu’on l’abandonne à lui-même.

Le bâtiment qui devait plus qu’aucun autre attirer mon attention était le vaisseau américain. Nous étions encore sous l’impression des étonnans succès obtenus par la marine des États-Unis dans les deux années de guerre qu’elle avait soutenue contre l’Angleterre. Il me suffit de visiter le vaisseau que j’avais sous les yeux pour avoir le secret de ces triomphes. Le Franklin était un vaisseau à deux ponts construit dans des dimensions et armé avec un soin qui lui eussent permis de se mesurer sans trop de désavantage avec un vaisseau à trois ponts. En introduisant dans les rangs de sa flotte des vaisseaux de ligne, le congrès américain n’avait pas voulu que ces bâtimens pussent compromettre la gloire acquise par les frégates de l’Union. Les frégates avaient été des vaisseaux déguisés ; les vaisseaux, à leur tour, cachèrent sous leurs deux batteries la force effective d’un trois-ponts anglais. Tout ce que l’industrie d’un peuple opulent et ingénieux avait pu imaginer pour accroître la valeur militaire d’un pareil bâtiment se trouvait réuni à bord du Franklin. On s’était proposé de faire du premier vaisseau qui devait porter le pavillon étoile un navire sans égal, la plus haute expression de l’art maritime à cette époque. Cependant la construction d’un vaisseau exige