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une précision dans les calculs qui n’est pas toujours à la portée d’un constructeur de frégates. Le Franklin, mis en mer, s’était trouvé surchargé. Sa batterie basse avait à peine quatre pieds au-dessus du niveau de la mer. Si ce magnifique navire avait eu à combattre avec un vent frais, il n’eût pu se servir de toute son artillerie. Ce grave inconvénient ne me semblait point complètement racheté par d’excellentes dispositions intérieures. Il l’était encore moins par un luxe de détail et de propreté que je jugeais à bon droit superflu. On n’avait employé pour les ponts que des bois choisis ; les bordages étaient sans un nœud, tous d’égale largeur et assemblés de manière à n’offrir entre eux que des coutures excessivement étroites. Ce parquet si net et si uni me paraissait trop beau pour qu’on ne craignît point un peu d’y faire rouler des canons. Aussi étais-je tenté de croire que l’instruction militaire de l’équipage pouvait bien être sacrifiée parfois au désir de maintenir dans toute sa fraîcheur et dans tout son lustre ce noble échantillon de la marine américaine. Rien ne se ressemblait moins que les emménagemens de ce bâtiment et les nôtres. Sur le Franklin, le charpentage était de la menuiserie, la menuiserie un véritable travail d’ébéniste. L’air circulait partout ; les embarcations, au lieu d’encombrer la batterie haute, reposaient sur le pont supérieur ou étaient suspendues à des arcs-boutans extérieurs. L’entre-pont était éclairé par de nombreux verres lenticulaires, et n’offrait pas ces épaisses ténèbres qui en faisaient chez nous un asile propice aux malfaiteurs. La propreté des cuisines, placées en avant du mât de misaine, excita surtout mon admiration. Une large cheminée, un vaste panneau s’ouvrant sur le pont, facilitaient l’écoulement de la fumée, et les alentours n’étaient pas, comme à bord du Centaure, constamment noircis par la suie. Entre les pièces d’artillerie étaient suspendues des tables où pouvaient s’asseoir huit ou dix personnes. Sur chacune de ces tables, on voyait, symétriquement rangés, une gamelle, un bidon aux cercles polis et brillans, un gobelet de ferblanc et une bible.

Le Franklin portait cent bouches à feu, des canons de 32 dans ses batteries, des caronades du même calibre sur son pont. Outre les gargoussiers ordinaires, de grandes boîtes en plomb accrochées à la muraille contenaient pour chaque pièce quatre gargousses. Les canonniers avaient ainsi sous la main dix coups à tirer avant d’avoir besoin de recourir à la soute aux poudres, avantage inestimable, si l’on songe qu’à part un approvisionnement peu considérable, nous avions encore l’habitude de remplir nos gargousses pendant le combat, au fur et à mesure des consommations. Il est inutile que je m’étende sur la composition de l’équipage qui montait le Franklin.