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montrables. Les dogmes de ce genre (Kant l’a vu avec une sagacité merveilleuse), non susceptibles de preuves spéculatives, mais évidens pour d’autres raisons, n’avancent à rien tandis qu’ils ne sont pas convertis en sentiment. Une école qui s’y renferme ne produira qu’une série d’écrits monotones, superflus pour les uns, insuffisans pour les autres, et qui ne convertiront personne. « La philosophie française contemporaine, dit très bien M. Vacherot, l’école éclectique surtout, a excellé dans la critique des idées métaphysiques fausses, étroites et grossières, par lesquelles le XVIIIe siècle avait cru pouvoir remplacer définitivement les belles, mais quelque peu chimériques abstractions de la philosophie antérieure. Elle a ainsi préparé le terrain sur lequel la science nouvelle, la vraie métaphysique du XIXe siècle, pourra élever ses constructions ; mais elle serait dans une grande illusion, si elle croyait avoir fait davantage. Son œuvre dogmatique, sauf de rares et fort incomplètes tentatives, se réduit à la réinstallation de l’ancienne métaphysique sur les ruines de la philosophie de la sensation. C’est Platon, Descartes, Malebranche, Bossuet, Fénelon, Leibnitz, Clarke, qui en font à peu près tous les frais ; méthodes, principes, idées, argumens, rien n’est bien nouveau dans la métaphysique de notre temps. Ce sont les mêmes élémens épurés et combinés avec un art fort ingénieux, et exprimés dans une langue plus simple et plus scientifique. Cette métaphysique peut bien faire illusion aux esprits novices qui ignorent que la critique de Kant et de son école l’a ruinée jusque dans ses fondemens ; mais tous ceux qui en France ne sont pas restés étrangers au mouvement philosophique de l’Allemagne, depuis Kant jusqu’à Hegel, n’en sauraient être dupes. On la goûte, on l’admire comme histoire ; mais on ne la prend pas au sérieux comme science. À son endroit, on en reste aux conclusions de la philosophie critique. Donc la question métaphysique, en France du moins, est plus neuve qu’elle n’en a l’air. Tout ce qu’on nous donne aujourd’hui sous ce nom date au moins du XVIIe siècle ; il n’y a de nouveau que la forme. C’est ce qui fait que la science et la critique n’y attachent qu’un intérêt historique. »

Dieu me garde de déprécier une tentative qui a eu certes son côté honorable, bien qu’on ne puisse lui attribuer une très grande place dans l’histoire de l’esprit humain ! Donner à la philosophie une forme qui lui permit d’entrer dans les écoles publiques, en ménageant les idées étroites qu’on se fait en France de la responsabilité de l’état, et par conséquent sans blesser aucune des croyances que l’état est obligé de respecter, était certes une pensée honnête et libérale. Faire de l’École normale le séminaire de cette philosophie orthodoxe était une pensée féconde, à laquelle il n’a manqué pour produire des fruits que ce qui manque à toutes les créations de l’état dans un