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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/376

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pays révolutionnaire, la durée. Mais, comme il arrive toujours dans les choses humaines, en prenant un parti aussi décisif, on engageait gravement l’avenir ; en servant d’un côté la philosophie, on lui portait de l’autre un grand préjudice. J’ose dire en effet qu’à n’envisager que le bien de la science, il eût beaucoup mieux valu que l’École normale n’eût pas d’enseignement philosophique. Un tel enseignement donne aux jeunes esprits une assurance exagérée et les accoutume à cette erreur, que la philosophie et la théologie naturelles peuvent être réduites à des programmes et dressées en questionnaires d’examen. Il leur fait croire qu’on peut arriver de plain-pied aux généralités sans avoir passé par l’étude des détails ; il les détourne de la science proprement dite. Voilà comment l’École normale a fait plus et moins qu’elle ne devait. Elle a donné des écrivains, des publicistes, des hommes de cœur et de talent. Sans parler même de son âge héroïque, où, comme tous les établissemens nouveaux non encore liés par des règlemens et dans la ferveur de la fondation, elle a produit des fruits qu’il serait injuste de demander à son âge de prétendus perfectionnemens et de pédagogie artificielle, puis-je oublier que c’est de son sein, grâce, il est vrai, à une de ces ruptures qu’on trouve au début de presque toutes les carrières originales, que sont sortis quelques esprits qui, par des mérites très divers, ont attiré tout d’abord et au plus haut degré l’attention du public ? D’un autre côté, puis-je oublier que cette brillante pépinière n’a rien formé de ce qu’on est en droit d’attendre d’une école, qu’elle n’a pas donné un helléniste, pas un orientaliste, pas un géographe, pas un épigraphiste, et avant l’école d’Athènes pas un archéologue ? Pédante sans être savante, elle voulut créer ce qui ne se crée pas, des historiens, des philosophes, sans s’apercevoir que la philosophie est un art dont le secret ne s’apprend pas, tandis que les connaissances qui servent à l’alimenter et à l’exciter s’apprennent. Ainsi, malgré tant de sérieux services (et vraiment quand je pense à quelques-uns des maîtres et des élèves qu’elle peut réclamer, je suis tenté d’effacer la page que je viens d’écrire), l’École normale est restée presque stérile pour le progrès de la grande science. Avec son histoire de seconde main et sa philosophie de confiance, elle n’a produit que peu de ces laborieux ouvriers qui se mettent à la tête de la tranchée pour la continuer. Plus portés à prendre la science par le sommet que par la base, ceux qu’elle a formés ont eu rarement le courage de préférer aux succès faciles du talent l’abnégation du chercheur qui se condamne à ignorer pour qu’on sache après lui.

Sans déprécier ce que l’enseignement philosophique de nos jours a eu d’honorable, il est donc permis de trouver qu’il a plus nui que servi aux vrais progrès de la pensée. En habituant les esprits à se contenter