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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/378

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de nos jours contre la métaphysique ? J’en doute, et une considération toute superficielle m’inspire d’abord quelque prévention. Les deux gros volumes de l’ingénieux penseur sont consacrés à prouver que la métaphysique existe. Ainsi ne procèdent pas les sciences naturelles et historiques. Les premiers géologues n’ont pas fait des volumes pour prouver que la géologie existe ; ils ont fait de la géologie. Les fondateurs de la philologie comparée n’ont pas écrit pour prouver que cette façon de considérer les langues constitue une science réelle ; ils ont fait de la philologie comparée. Si la métaphysique était une science, comme semble l’entendre M. Vacherot, depuis dix-huit mois que son livre a paru, elle serait fondée, acceptée, organisée. Deux ans après le premier manifeste de M. Bopp, la philologie comparée était de droit commun dans toutes les écoles savantes ; deux ans après les premiers écrits de Cuvier, l’anatomie comparée comptait des adeptes nombreux. Cette différence-là est pleine de conséquences. La métaphysique ressemble trop à ces soutras bouddhiques, vastes portiques, préambules sans fin, où tout se passe à annoncer une révélation excellente. Cinquante pages de théorie prouveraient plus pour la réalité de la métaphysique que les douze cents pages de M. Vacherot, pages excellentes, pleines de charme et de véritable solidité, mais dont la valeur résulte beaucoup moins de la doctrine qu’elles fondent que de l’excellente critique qu’elles renferment, et dont l’auteur, dédaigneux de ce qui fait son principal mérite, semble bien à tort faire peu de cas.

Certes il est un côté par lequel je partage entièrement l’opinion de M. Vacherot. Si l’on entend par métaphysique le droit et le pouvoir qu’a l’homme de s’élever au-dessus des faits, d’en voir les lois, la raison, l’harmonie, la poésie, la beauté (toutes choses essentiellement métaphysiques en un sens) ; si l’on veut dire que nulle limite ne peut être tracée à l’esprit humain, qu’il ira toujours montant l’échelle infinie de la spéculation (et pour moi je pense qu’il n’est pas dans l’univers d’intelligence supérieure à celle de l’homme, en sorte que le plus grand génie de notre planète est vraiment le prêtre du monde, puisqu’il en est la plus haute réflexion) ; si la science qu’on oppose à la métaphysique est ce vulgaire empirisme satisfait de sa médiocrité, qui est la négation de toute philosophie, oui, je l’avoue, il y a une métaphysique : rien n’est au-dessus de l’homme, et le vieil adage quæ supra nos, quid ad nos ? est un non-sens. Mais si l’on veut dire qu’il existe une science première, contenant les principes de toutes les autres, une science qui peut à elle seule, et par des combinaisons abstraites, nous mener à la vérité sur Dieu, le monde, l’homme, je ne vois pas la nécessité d’une telle catégorie du savoir humain. Cette science est partout et n’est nulle part ; elle