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religions parler de Dieu, et craignons de les détruire en les simplifiant. Ne nous proclamons pas supérieurs à elles ; leurs formules ne sont qu’un peu plus mythiques que les nôtres, et elles ont d’immenses avantages où nous n’atteindrons jamais. Une phrase est une limite et prête à l’objection ; une hymne, une harmonie n’y prêtent pas, car elles n’ont rien de dialectique ; elles ne tranchent rien de controversable. Les dogmes des catholiques nous blessent, et leurs vieilles églises nous enchantent. Les confessions de foi des protestans ne nous satisfont guère, et la poésie austère de leur culte nous ravit. Le vieux judaïsme ne nous plaît pas, et ses psaumes sont encore notre consolation. La liberté absolue des styles doit être permise dans la prière. Ne serait-il pas fâcheux, parce que la musique de Mozart est sublime, que celle de Beethoven n’existât point ?

Laisser l’idée religieuse dans sa plus complète indétermination, tenir à la fois pour ces deux propositions : 1° « la religion sera éternelle dans l’humanité, » 2° « tous les symboles religieux sont attaquables et périssables, » telle serait donc, si le sentiment des sages pouvait être celui du grand nombre, la vraie théologie de notre temps. Tous ceux qui travaillent à montrer au-delà des symboles le sentiment pur, qui en fait l’âme, travaillent pour l’avenir. À quoi fixerez-vous en effet la religion, si cette base immortelle ne vous suffit point ? À un fait historique où vous croirez voir les caractères d’une révélation ? Les sciences historiques protesteront et vous prouveront que la Divinité n’a pas été exclusivement présente à un point de l’espace et de la durée. — À un faux spiritualisme fondé sur une notion erronée de la substance, et qui mériterait bien mieux le nom de matérialisme, puisqu’il méconnaît ce qui réellement constitue l’être ? Les sciences physiologiques protesteront ; elles vous diront qu’elles ne voient point le moment où l’âme telle que vous l’entendez vient s’ajouter au corps, et que rien d’expérimental ne leur révèle une telle infusion. — Tenez-vous-en donc à ceci : L’humanité est de nature transcendante ; quis Deus incertum est, habitai Deus. Ah ! voilà ce qu’aucune science ne niera, ce que toute science proclame. Aucune formule ne répondra jamais aux problèmes infinis de Dieu et de la destinée de l’homme : il sera toujours impossible de dire sur ces sujets-là un mot qui ne soit absurde à sa manière ; mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que la négation appliquée à de tels problèmes est bien plus absurde encore. L’athéisme est en un sens le plus grossier des anthropomorphismes. L’athée voit avec justesse que Dieu n’agit pas en ce monde à la façon d’un homme ; il en conclut qu’il n’existe pas ; il croirait s’il voyait un miracle, en d’autres termes, si Dieu agissait comme force finie en vue d’un but déterminé. Le matérialisme systématique est de même une flagrante contradiction, puisque, pour rabaisser la nature humaine, il exerce