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le concevoir comme se personnifiant à l’infini. » Le fait-on impersonnel, la conscience proteste, car nous ne concevons l’existence que sous forme personnelle, et dire que Dieu est impersonnel, c’est dire, selon notre manière de penser, qu’il n’existe pas. De ces deux théories, l’une n’est pas vraie, l’autre n’est pas fausse. Ni l’une ni l’autre ne porte sur un terrain solide ; toutes deux impliquent une contradiction. Osons enfin écarter comme secondaires et libres au plus haut degré ces questions condamnées par leur exposé même à ne recevoir jamais de solution. Osons dire qu’elles n’importent que médiocrement à la religion. Du moment qu’on croit à la liberté, à l’esprit, on croit à Dieu. Aimer Dieu, connaître Dieu, c’est aimer ce qui est beau et bon, connaître ce qui est vrai. L’homme religieux est celui qui sait trouver en tout le divin, non celui qui professe sur la Divinité quelque aride et inintelligible formule. Le problème de la cause suprême nous déborde et nous échappe ; il se résout en poèmes (ces poèmes sont les religions), non en lois, ou s’il faut parler ici de lois, ce sont celles de la physique, de l’astronomie, de l’histoire, qui seules sont les lois de l’être et ont une pleine réalité.

Je reconnais les bons côtés du déisme, et je lui accorde une place élevée dans l’histoire de l’esprit humain ; mais je ne peux admettre qu’il soit la formule définitive où toutes les religions doivent aboutir et se perdre. Sa clarté apparente l’empêchera toujours d’être une religion. Les hommes ne se rattachent entre eux que par leurs croyances particulières. Une religion qui serait aussi claire que la géométrie n’inspirerait ni amour ni haine. Cela seul crée un lien entre les hommes qui implique un choix libre et personnel : plus la vérité est évidente, moins elle est relevée ; on ne se passionne que pour ce qui est obscur, car l’évidence exclut toute option individuelle. — Cette évidence d’ailleurs est-elle de nature à mettre le déisme à l’abri de la critique ? Nullement. Le déisme a son symbole ; ses formes, pour n’avoir rien de plastique, n’en sont pas moins fort arrêtées. Telle n’est pas la religion du philosophe critique. Il n’essaie pas de dépouiller les religions de leurs dogmes particuliers ; il ne croit pas qu’en analysant les diverses croyances, on trouverait la vérité au fond du creuset. Une telle opération ne donnerait que le néant et le vide, chaque chose n’ayant son prix que par la forme particulière qui l’enveloppe et la caractérise. Mais il prend tout symbole pour ce qu’il est, pour une expression particulière d’un sentiment qui ne saurait tromper. La vérité d’un symbole, on le comprend dès lors, n’est pas en raison de sa simplicité. Aux yeux du déiste, l’islamisme devrait passer pour la meilleure des religions ; aux yeux du critique, l’islamisme est une religion très défectueuse, qui a fait plus de mal que de bien à l’espèce humaine. Laissons les