Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chimie champêtre, ne quitta plus son petit domaine de Saint-Félix.

Cependant un berceau d’osier avait pris place au pied du lit de la Sicardoune, et quelques langes grossiers étaient pliés à côté des habits du défunt, pour recevoir l’enfant qui devait être la consolation de la veuve. La veille de l’Assomption, il plut beaucoup, et la garrigaire, désirant mettre à profit un temps favorable à l’extraction du chêne épineux, s’achemina le lendemain, avant le jour, vers la Gardiole. Elle y arriva comme le soleil mirait ses premiers feux dans les gouttelettes de pluie suspendues aux buissons. Je ne sais comment il se fit que la veuve se rappela tout à coup que l’Assomption était un jour de fête, qu’il fallait célébrer en s’abstenant du travail de la semaine. Mettant donc de côté sa trinca (pioche), elle se contenta d’arracher çà et là des frigoules (tiges de thym) pour alimenter son foyer pendant l’hiver. Habituée à un rude labeur, la Sicardoune, qui considérait cette facile besogne comme une sorte de distraction, allait joindre des cistes et de l’aspic à sa provision de thym, lorsque, prise soudainement de douleurs aiguës, elle s’affaissa près d’un rocher. Quelques instans après, la garrigaire devenait mère d’une jolie petite fille dont une gerbe de frigoule fut le premier berceau.

Vers la fin du jour, portant son enfant dans les bras, la Sicardoune se leva péniblement pour reprendre le chemin du village ; mais la pauvre femme était si faible qu’elle retomba sur la terre. Dans le lointain résonnaient les chants des garrigaires qui revenaient de leur travail ; ils descendaient bruyamment le petit sentier où d’ordinaire la veuve les attendait avec son fagot. Elle les appela, mais sans pouvoir se faire entendre. L’enfant, à peine emmaillotté dans le tablier et le fichu de sa mère, grelottait à la fraîcheur du soir. Tout en le serrant contre son sein, la Sicardoune sentit ses forces l’abandonner. Heureusement un secours inespéré lui arriva dans ce moment suprême. Après s’être occupé tout le jour à greffer les figuiers sauvages qui s’élèvent entre les fentes des plus hautes murailles du cloître, l’estarloga descendait les marches disjointes des ruines de Saint-Félix. Il crut entendre des gémissemens. Il écouta avec attention, et bientôt, s’étant dirigé du côté d’où partaient les plaintes, il arriva près de la Sicardoune, qui se mourait en tâchant de réchauffer son nouveau-né. Le visage décoloré de la pauvre mère s’illumina d’un éclair de joie, et tendant son enfant à Pitance : — Elle va se trouver orpheline, dit-elle ; vous êtes seul comme elle, le ciel vous la donne pour fille…

Et pendant que son nouveau-né criait sur son sein, la Sicardoune expira.

Pitance et les garrigaires de la Gardiole accompagnèrent seuls