vieille chèvre était morte, et sa dernière chevrette, la tchouna[1], cabriolait sur les murs du labyrinthe de ruines que le vieux sergent appelait son domaine. La Frigoulette conservait d’ordinaire le costume de toile de sa tribu ; en revanche, on la voyait les jours de fête descendre la colline les épaules enveloppées d’un grand châle, la tête couverte d’un bonnet à fleurs, les pieds cachés par une jupe trop longue, et la taille serrée dans un corset baleiné. Elle perdait ainsi beaucoup de sa grâce et de sa beauté ; mais elle obéissait à ce désir immodéré qu’éprouve toute jeune garrigaire de se métamorphoser quelquefois en grisette, afin de pouvoir se mêler sans rougir aux danses et aux promenades des villageoises. Ces pauvres filles dépensent souvent les revenus du travail de toute une année pour cette toilette ridicule, qui, sans réussir à effacer leur type caractéristique, leur enlève tout cachet d’originalité. Si alertes et si provocantes avec le grand chapeau, le jupon court et la basquine au vent, ces brunes paysannes deviennent pour la plupart gauches, empruntées et vulgaires sous les rubans et les bijoux. Heureusement la Frigoulette était si gracieuse, elle savait si bien se draper dans son châle, faire onduler sa robe et voltiger les nœuds de son bonnet, que Brunélou se sentait tout fier de la promener sur le chemin du petit village de Montbazin.
C’est sur ce chemin poudreux que les amoureux du pays se donnent rendez-vous le dimanche, s’attendent, se retrouvent et babillent ensemble. C’est un lieu béni par l’amour. Là tout fringaire peut faire en liberté la cour Il sa promise, car cette route qui sépare Gigean de Montbazin est le Gretna-Green des garrigaires. Seulement, au lieu d’une forge enfumée, c’est le moulin frais et fleuri de Juffet qui est le but du voyage, et la bénédiction du ministre d’emprunt est remplacée ici par des sermens d’amour que l’eau semble redire en murmurant. Le seuil des murs délabrés d’un vieil arceau qui s’élève à l’entrée du village est pour les parens un véritable observatoire, car du haut des quelques marches disjointes qui supportent cette petite voûte de pierre, ils peuvent suivre du regard la promenade des fringaires. Quelques granns (aïeules) y épluchent les fruits et les légumes destinés à leurs confiments[2], tout en surveillant les premiers pas des jeunes filles sur le chemin de Juffet ; les pères y fument leur pipe et y froncent le sourcil en regardant au loin ; les enfans interrompent leurs jeux pour découvrir un nouveau couple ; les dévotes passent rapidement et les yeux baissés ; quelques vieilles filles soupirent à la vue des jeunes et jolies promises