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suis pas mortel J’ai tant souffert depuis quelque temps. Passer cinq ans dans cette petite ville, où je ne vois pas un être humain, et maintenant cette maladie qui augmente encore ses caprices, et cette avarice révoltante ! Il y a des momens où je rêve un changement complet dans ma situation.

« — Patience ! reprit le prince, tout mal a sa fin, et je crois que la fin de tout cela ne se fera pas attendre longtemps.

« Et il tourna les yeux du côté de la générale. — À propos, l’affaire de Moscou avance-t-elle ?

« — Cela s’est terminé comme je le prévoyais. Elle ne veut pas me marier parce qu’elle serait obligée de me doter. Cependant il faut en finir, je veux absolument me marier pour sortir de cet esclavage. J’ai droit à cinq cents paysans que m’a laissés mon père.

« — Sans doute, reprit le prince, il faut vous marier absolument, quand même vous devriez fuir la maison. Malheureusement ici vous ne trouverez jamais un mari convenable ; il faut aller à Moscou.

« — Jamais elle n’y consentira. Lorsqu’elle est tombée malade, je l’ai suppliée à genoux de se rendre à Moscou pour consulter les médecins. Elle s’y est refusée ; l’argent lui est plus cher que la vie.

« — Pauline, es-tu ici ? s’écria la générale en bâillant.

« — Oui, maman. — Et elle s’approcha immédiatement d’une table sur laquelle se trouvait un paquet de livres apportés par le prince.

« — Que fais-tu ?

« — Je parcours les livres.

« — Quels livres ?

« — Des journaux, ma tante, répondit vivement le prince. — Et, se frappant le front comme s’il lui était venu une idée, il dit à Pauline : — Vous y trouverez un roman du directeur du collège. On en dit du bien.

« — Du directeur ? dit Pauline en clignant les yeux. Je crois qu’il est venu nous rendre visite.

« — Vraiment ?

« — Oui, mais ma mère l’a très mal reçu, et il n’est plus revenu.

« — De quoi parlez-vous ? dit la générale.

« — De livres, ma tante. — Et se tournant de nouveau vers Pauline : — Voilà notre homme, ajouta-t-il en souriant. Occupez-vous de lui ; c’est un jeune homme très comme il faut.

« — Pourquoi pas ? lui répondit Pauline en souriant aussi ; il m’a beaucoup plu, il est fort aimable. »


Le prince s’empresse de donner suite à l’heureuse idée qu’il vient d’émettre, et, grâce à ses démarches, Kalinovitch se présente peu de jours après chez la générale. Celle-ci le reconnaît à peine, mais le prince l’accable de prévenances, le supplie de venir leur faire la lecture de son dernier roman, et Pauline joint ses instances à celles du prince. On prend jour pour cette lecture, et Kalinovitch sort de L’hôtel de la générale tout glorieux de l’accueil qu’on lui a fait.

Pourquoi le prince veut-il marier Pauline ? — Pour jouir plus sûrement d’une fortune dont, une fois mariée à un jeune homme