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qui lui devra la richesse, elle disposera en souveraine : triste et odieux calcul qui amène une série de tentatives habilement conduites, et dont le seul but est d’amener un mariage entre Kalinovitch et Pauline ! Une soirée de lecture, une excursion à cheval, un bal, il n’en faut pas davantage pour troubler la raison du directeur de collège. Un moment même ce n’est plus sur Pauline, c’est sur la fille du prince Raminsky, brillante et aristocratique personne, qu’il ose porter un regard téméraire. Que devient alors la pauvre Nastineka ? Elle n’est pas encore délaissée, et Kalinovitch affecte toujours auprès d’elle un certain empressement ; mais elle n’ignore pas l’accueil que font au directeur la générale et sa fille. Elle ne pense à l’avenir qu’avec une douloureuse inquiétude.

Voici cependant le discours que tient un jour le prince Raminsky à Kalinovitch :


« — Vous êtes maintenant reçu dans la maison de la générale… Pourquoi ne songeriez-vous pas sérieusement à Mlle Pauline ? Quel avenir pour vous et votre talent ! Mille âmes, mon cher monsieur, un bien parfaitement administré, et un capital dont personne ne connaît encore au juste le montant ! Avec cela, vous pouvez aller où bon vous semble, à Pétersbourg, à Moscou, à Odessa, et même dans les pays étrangers… Vous pourrez choisir le lieu le plus favorable à vos inspirations…

« Cette proposition bouleversa complètement Kalinovitch. Il affecta de prendre la chose pour une plaisanterie ; mais, après avoir quitté le prince, il passa en revue toutes les circonstances de sa vie depuis qu’il était venu se fixer dans cette petite ville : d’abord cet amour de Nastineka, auquel il s’était abandonné sans réflexion, et qui avait établi entre eux un lien dont l’intimité ne lui permettait plus de la quitter sans manquer à l’honneur, puis le succès littéraire auquel il ne s’attendait pas, et enfin le succès encore moins prévu qu’il avait obtenu dans la maison de la générale… Mais Nastineka ?… Impossible de l’épouser maintenant… Alors ne valait-il pas mieux en finir résolument ? C’était le conseil que lui donnait la raison ; sa conscience toutefois en était révoltée. »


Kalinovitch, en définitive, se hâte de demander un congé de trois mois pour se donner la liberté nécessaire en si grave occurrence. Le congé obtenu, il vient faire ses adieux aux Godnef. Lorsqu’il a exposé les motifs qui l’engagent à partir pour Pétersbourg, l’honnête M. Godnef n’y trouve point à redire, et Nastineka se soumet aussi en apparence à cette dure nécessité. Seulement, le soir même du jour où il leur avait annoncé son prochain départ, elle le prie de l’accompagner.


« — Où veux-tu aller ? lui demanda le jeune homme.

« — Sur la tombe de ma mère, lui répondit Nastineka. Il y a longtemps que je ne suis allée prier là, et je veux que tu me suives.

« Arrivée dans le cimetière, Nastineka s’arrête devant une tombe à moitié