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a fini par marier sa propre fille à un riche industriel, M. Tchetverikof. Il se flatte d’exercer ainsi une puissante influence. Il se trompe. Son gendre, M. Tchetverikof lui-même, mandé par le vice-gouverneur, se voit fort mal reçu. Kalinovitch s’est promis de faire rendre gorge à ce millionnaire. Il l’invite à donner une dizaine de mille roubles pour les embellissemens de la ville. Menacé de perdre les bonnes grâces du haut fonctionnaire, le traitant est forcé de s’exécuter. Kalinovitch bientôt se débarrasse du gouverneur lui-même, compromis dans des affaires scandaleuses et forcé d’aller rendre compte de sa conduite à Pétersbourg. Puis vient le tour du prince, que la manie de spéculer a contraint à des actes frauduleux. Un marché pour la construction d’une chaussée doit être passé prochainement. Le prince figure parmi les soumissionnaires, qui sont convoqués par le vice-gouverneur, devenu gouverneur provisoire, devant le comité des constructions publiques.


« — Bien, messieurs ! dit Kalinovitch avec une émotion mal contenue aux soumissionnaires. — Puis, se tournant vers son secrétaire : — Donnez-moi les cautionnemens qui sont fournis pour la soumission.

« Le secrétaire lui remit une liasse de papiers.

« — Ils y sont tous ? lui demanda Kalinovitch en le regardant fixement.

« — Oui, votre excellence, répondit le secrétaire d’une voix tremblante.

« Le vice-gouverneur chercha dans les pièces ; il en prit une.

« — Toutes ces pièces ont été examinées par vous, dit-il aux membres de la commission ; mais je viens de recevoir du tribunal de Penza une déclaration constatant qu’un des actes de propriété produits par l’un des soumissionnaires est entaché de faux…

« A l’appui de ces paroles, le vice-gouverneur tira de sa poche une lettre qu’il remit aux membres de la commission. Toutes les figures s’allongèrent, celle du prince s’empourpra.

« — C’est pourquoi, messieurs, dit Kalinovitch aux assistans, les soumissions ne seront point admises aujourd’hui. — Et il remit toutes les pièces dans son portefeuille. — Ce faux qui nous est dénoncé doit être jugé.

« Ayant dit cela, le vice-gouverneur salua précipitamment les membres de la commission, comme s’il avait eu hâte de terminer promptement cette scène pénible, et sortit. Le prince se précipita sur ses pas ; Kalinovitch lui dit quelques mots à voix basse. La figure du prince prit aussitôt une teinte livide. Quelques-uns des scribes le virent chanceler ; il descendit l’escalier, et trouva dans le vestibule le maître de police, qui le fit monter avec lui en voiture.

« Le soir du même jour, une grande nouvelle se répandit dans la ville ; le prince Raminsky, accusé d’avoir produit une pièce taxée de faux, avait été mis en prison.

« Un pareil acte de rigueur acheva de déchaîner contre le vice-gouverneur tous les fonctionnaires et toutes les personnes bien pensantes de la ville. Oser mettre sous les verrous un noble, un homme aussi accompli et aussi aimable que le prince Raminsky ! Le maréchal de la noblesse en porta