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C’est ce qui arrive en effet. L’entrevue où Raminsky et le directeur arrêtent un plan de conduite d’où sortira la ruine de Kalinovitch est un des plus fidèles tableaux qu’on ait tracés des régions inférieures de l’administration russe. Il y a là des traits d’une vérité cruelle. Le prince reçoit dans son cachot la visite du directeur en disgrâce, qui, le verre en main, convient avec lui des moyens d’acheter le silence ou les aveux favorables de quelques complices engagés dans la même affaire. À la suite de cet entretien, le directeur, dont une forte récompense stimule le zèle, part pour Pétersbourg, où il va défendre la cause du prince, et cette cause est d’avance gagnée.

Le roman touche alors à sa fin. Cette guerre aux abus faite par un ambitieux, cette étrange lutte d’un parvenu contre les hommes dont il s’est servi pour assurer sa fortune, se termine avec le tableau que l’écrivain a voulu tracer des mœurs administratives. Une rencontre inattendue est le prélude du dénoûment. Dans une troupe de comédiens, autorisée par le gouverneur lui-même à donner quelques représentations, se trouve Nastineka, qui s’est jetée dans la vie d’artiste par désespoir d’amour. Elle écrit à Kalinovitch, dont les souvenirs se réveillent. L’incorruptible gouverneur n’ose pas refuser un rendez-vous ; mais au retour d’une soirée passée furtivement chez l’actrice, il trouve sa maison en désordre. Des caisses sont entassées sous le vestibule. Pauline, indignée de la conduite de son mari, est partie pour Pétersbourg, se promettant de sauver le prince. Elle laisse une lettre qui avertit Kalinovitch qu’elle sait tout. « Votre dernier procédé à mon égard, lui dit-elle, me donne le droit de vous quitter. » Cette fuite est le commencement de la ruine de Kalinovitch. Bientôt des bruits défavorables au gouverneur commencent à circuler dans la ville. Une scène violente éclate entre Kalinovitch et le chef de la police à l’occasion d’un incendie qui amène un conflit d’attributions. Le gouvernement supérieur est saisi de l’affaire, et se prononce contre Kalinovitch, qui est destitué. De la classe des administrateurs il passe à celle non moins nombreuse des mécontens, et n’a d’autre consolatrice que Nastineka, qui le suit à Moscou. Pauline, qui est restée à Pétersbourg, y finit bientôt dans l’isolement une existence abrégée par la douleur. Le plus heureux de tous ces personnages qui ont poursuivi ensemble la fortune est le prince, qui se voit réhabilité à la suite de la disgrâce de Kalinovitch, et rentre dans ses terres avec sa fille et son gendre. Devenu veuf, Kalinovitch finit par épouser Nastineka ; mais l’actrice ne vit plus que pour le théâtre, et son mari achève tristement, sous le poids de sa dédaigneuse pitié, l’existence dont l’auteur n’a voulu retracer que la période la plus agitée, la plus instructive.

Telle est la fable imaginée par M. Pisemski pour mettre en présence